Mère Marie de la Conception. Lettre d'édification.
J. M. † J.T.
CARMÉLITES DÉCHAUSSÉES
Monastère de Sainte Thérèsa
Majorque (Iles Baléares - Espagne)
LETTRE D'ÉDIFICATION
Mère Marie de la Conception de Saint Jacques et de Sainte Thérèse
(1905 –1999)
L.D. et Vque. M.
J.M. † J.T.
Le coeur de Jésus
soit toujours dans nos âmes , chère Mère Prieure et chère Communauté : c'est avec une douce nostalgie en mêmetemps qu' avec une profonde joie et gratitude que nous vous communiquonsl'entrée dans la vie de notre très chère Mère María Concepción de San Jaime y Santa Teresa de Jesús arrivée le 7 février 1999 à l' âge de 94 ans, laissant derrière elle un halo de toutes les vertuset mourant en odeur de sainteté. Nous disons avec "douce nostalgie" car... Puissions-nous vivre toujours auprès de cette âme toute donnée au Coeur de Jésus!; avec "gratitude" envers Dieu qui nous l'a donnée silongtemps -elle a vécu 70 ans dans ce Colombier de la Vierge affermissant la Communauté et chacune en particulier; et avec "joie" car nous supposons qu' elle jouit au Ciel d'une très grande gloire.
María de la Concepción de Oleza y Gual de Torrella était l' aînée de Mr. Jaime deOleza y de España, lieutenant colonel d' Infanterie, et de Mme. María de la Concepción Gual de Torrella Villalonga. Huit petits frères et soeurs naquirent après elle. Son père, Don Jaime, était aussi l'aîné (l'héritier) de sa famille.
1.- ANCÊTRES.
Ils'agit d'une famille de très haute lignée de notre ville de Palma, venue avec le Roi Jaime I pour la conquête de Majorque, famille très chrétienne, patriarcale et de saines traditions. Atitre d'anecdote interessante pour notre Ordre, il faut dire que le célèbre historien carme, Fr. Angelo Torrens, dans son livre " Les gloires du Carmel ", écrit qu' en 1375 le T. R. P. Prieur Général de l'Ordre Fr. Bernard que d'aucuns nomment "Bernardin Olense", appartenait à la famille Oleza, et qu' il fut réélu en 1379.
Cette famille de vieille souche compte également parmi ses membres le premier évêque de notre île de Majorque: RAMÓN TORRELLA.
Ses parents étaient très droits, bons chrétiens, et toute la famille était très dévote de la Très Sainte Vierge et du Coeur de Jésus. Tous ses enfants portèrent le nom de Marie, y compris "Mariano", le seul garçon, qui mourut glorieusement sur le front en 1938 en donnant sa vie pour sauver un compagnon.
2.- ENFANCE.
María de la Concepción naquit le 25 avril 1905. Le lendemain, elle reçut les eaux du Baptême dans la paroisse de Santa Eulalia, avec les noms de "María de la Concepción, Manuela, Josefa, y de Todos los Santos", ou simplement María pour les siens. Elle nous racontait avec charme qu'une servante lui disait souvent: " rata pinyada " (chauve-souris) à tel point que la petite répétait comme elle pouvait : "da-ta-pi-ña-da". Elle nous disait avec un peu depeine : " Voyez , le premier mot que j' ai dit, au lieu de Jésus ou Marie, fut: chauve-souris ".
Elle reçut le sacrement de la Confirmation le 12 juin 1907, à l' âge de 2 ans.
Elle avait du caractère, voire de l'obstination. Un jour que son père lui fit ramasser un papier par terre, elle refusa net au point que son père dut la réprimander fortement. Elle pleura intensément, comme aurait fait la petite Thérèse àson âge, et son père lui fit une photo pour qu'elle se rendît compte de salaideur en pleurant. Cette photo demeura longtemps chez elle, jusqu' au jouroù ses soeurs la déchirèrent.
Elle fit sa première communion dans l'église des Mères Réparatrices à 7 ans.
On pratiquait chez elle les dévotions les plus pieuses et communes: le mois du Sacré Coeur, le mois de Marie, celui de Saint Joseph, des Défunts... Tous les soirs la famille au complet avec les domestiques priait le Saint Rosaire. C'était son grand-père qui présidait, et quand il mourut, son père, qui était l' aîné. Ils brodaient aussi des purificatoires, deschasubles, des cordons pour aube, des broderies en soie,... Tout le linge sacré pour l' oratoire privé de la famille Comme María était petite on ne lui confiait auc un ouvrage; aussi protestait-elle vivement disant que pour elle: "rien, rien, rien". Plus tard, évidemment, elle participa activement au travail, car ellen' aimait pas du tout l' oisiveté.
Les trois aînées n' allèrent jamais aucollège, du fait qu' une institutrice venait chez elles. Le, matin, donc, elles travaillaient. L' après-midi elles se réunissaient avec leurs cousinspour jouer. En effet, leur vie de famille était très intense.
3.- ADOLESCENCE--DÉFAUTS.
C'est à dessein que nous voulons montrer tous ses défauts, après nous être renseignés auprès de sa famille, pour faireressortir davantage la transformation opérée en elle par la grâce de Dieu ainsique par ses propres efforts. Pour nous, c'est un véritable acte de foi, parce que nous l'avons vue pratiquer au couvent les vertus contraires aux défauts en question. Béni soit Dieu, lui qui fait des merveilles dans les âmes qui se livrent à lui !
María était donc une petite fille très gentille, pieuse et modeste, mais non pas sainte ni parfaite. Son plus grand défaut était la paresse qu'elle avait pour se réveiller le matin. Elle y mettait de la bonne volonté, mais sans résultat.
Comme elle avait des aptitudes pour la peinture, Mr. Vicente Furió, portraitiste célèbre, venait chez elle pour descours privés de peinture à l'huile. Le professeur lui apprenait à peindre des Natures mortes, mais María ne s'en contenta pas et se lança dans lesportraits, tant et si bien que Mr. Vicente craignit de perdre ses clients. Elle comprit aussitôt ce qui se passait et nous disait par la suite : " Età partir de ce jour-là il ne voulut plus rien m' apprendre ". Elle peignit entre autres une peinture à l'huile remarquable: la remise du " Pilar " (colonne) à Saint Jacques (son père s'appelait Jaime). Cette magnifique et originale composition combinait La Vierge de la Trinité de Velázquez avec les anges caractéristiques des tableaux de Murillo; en même temps, elle ajouta d'autres anges qui étaient en fait des portraits de personnes proches, telle sapetite soeur morte à deux ans.
Nous avons dit qu'elle était très paresseuse le matin pour se réveiller. En effet, il n'y avait pas moyen dese lever à temps. Quand Mr. Furió sonnait, alors seulement elle se réveillait. Et pendant que celui-ci montait les escaliers, elle se préparait et l'accueillait comme si elle eût été réveillée depuis longtemps. Elle avait aussi un autre défaut: quand la sessionétait levée, elle ne nettoyait jamais la palette. Certains disent que lespinceaux non plus. Mais vint le jour oùelle le fit et depuis elle les nettoya toujours. Le professeur remarqua toutde suite ce détail important et commença à croire que son élève se ferait religieuse.
Quel soulagement pour lui! Plus de crainte pour ses clients!
4.- ENCORE DES DÉFAUTS.
María, bien que très gentille, avaitbien sûr de très grands défauts, surtout pour ses soeurs qui vivaient avec elle. " Elle n'était pas humble, mais plutôt orgueilleuse, de sorteque quand on lui faisait une remarque, elle ne répondait pas, raidissait unpeu son cou avec un air de supériorité et n'en faisait finalement qu'à satête ".
Comme la Santa Madre, elle aimait beaucoup la lecture. Elle dévorait les romans. C'est vrai qu'ils avaient leur moralité. C'étaient debons livres, de la Bibliothèque Catholique, et même pieux. Mais les excès nesont jamais bons. A cette époque, elle était responsable de sa petite soeur, sa filleule. Or, afin d'éviter qu'elle ne pleurniche, elle lui fabriquai tune petite poupée en sucre en forme de sucette; ainsi, elle pouvait lire àson aise. Pour finir, les dents de la petite victime furent ravagées.
D'autre part, étant l'aînée de la famille, elle était très autoritaire et voulait que ses soeurs lui obéissent, mais certaines, surtout les aînées, s'y opposaient. En plus, elle était égoïste et en prenait à son aise : " si par exemple il y avait un fauteuilet elle pouvait s'asseoir, elle ne me laissait pas la place ", nous raconte sa soeur. Cette confidence nous aidera à dépasser nos propres misères et à glorifier Dieu ! Si, elle, avec la grâce de Dieu, vint à bout de ses défauts, pourquoi pas nous ?
5.- ENTRÉE DANS LE MONDE.
María entra dans le monde à 16 ans, et non pas à 18 ans comme c'était la coutume. Désormais, elle portait unchignon et des talons, et fréquentait les fêtes mondaines de la haute société. Nous conservons des photographies dans les quelles María se distingue par des robes et des déguisements qui brillent dans les fêtes du Cercle Majorquin. Elle se rendait aussi à l'Opéra. Mais en tout ceci, elle gardait une tenue modeste et une attitude droite. D'autre part, son père ne voulait pas qu' elle dansât.
Nous n'avons encore rien dit sur son physique: de taille moyenne, elle avait le teint extrêmement pâle, fin etdélicat, les cheveux roux et les yeux bleus. Pour un déguisement, elle eut du mal à trouver des " Anglaises " de la même couleur que ses cheveux... Si l'on en juge par les photographies, María aimait beaucoup briller, se parer et même avoir des airs de reine. Après, elle nous disait souvent aucouvent qu' elle se croyait laide (bien qu'elle ne le fût pas) mais... le croyait-elle à cette époque ?
Elle aimait beaucoup le sport: les soirsd' été elle jouait au tennis avec des amis de la famille dans l' une des nombreuses propriétés familiales. Ou bien, elle nageait dans la propriété appelée " Corb Marí ". Mais là où elle brillait spécialement c'étaitdans l'équitation. Elle montait très bien en amazone. " Elle montait àcheval avec une grande élégance " nous dit une amie. Elle remporta même des prix d' équitation à l' occasion de concours amicaux et se plaisait surtout dans la course d'obstacle (elle aimait davantage les plus difficiles).
Toute sa vie fut animée par un amourardent du Coeur de Jésus et un grand désir de ne pas le décevoir. Elle employa toute la force de sa volonté et de son intelligence pour sauter avec confiance et simplicité les obstacles les plus difficiles que Dieu mit sur sa route pour la conduire au sommet de la perfection.
Comme elle montait si bien à cheval, elle fut invitée à participer dans le tournage d'un film de moeurs majorquines intitulé " le secret du mur de pierre ". Mais sans doute le meilleur tournage qu'elle fit tout au long de sa longue vie de 93 ans fut celui où Dieu eut le rôle de producteur et de metteur en scène.
A l' âge de 21 ans, elle accompagna sa mère à Rome et le Saint Père leur accorda une audience. Coiffées du traditionnel peigne de mantille et vêtues de noir, elles reçurent pour leur famille la Bénédiction Apostolique et l'Indulgence Plénière " in articulo mortis, même dans le cas où, ne pouvant communier ni se confesser, mais ayant fait l' acte de contrition, le fidèle prononce le Très Saint Nom de Jésus ".
Elles visitèrent les catacombes, les lieux saints. Elle conserva tout dans son coeur et le racontait par la suite! Mais tout n'était pas aussi fervent. A Rome elle aperçut une riche dentellequi la ravit. Elle la demanda à sa mère pour le jour de son mariage. " Seulement si le gendre me plaît ", répondit celle-ci.
Elle connut à Rome un frère mineur franciscain (*), parent du Bien heureux Fr. Junípero Serra, majorquin de Petra, célèbre évangélisateur de la Californie. Elle lui écrivit par la suite de nombreuses lettres de direction spirituelle.
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(*) Ce n'était pas un mineur franciscain, mais un trappiste.
6.- PRÉDICATION D'UNE MISSION : MARIA TOMBE DU CHEVAL.
En 1927, María a 22 ans. Nous sommes encarême. Quand la jeune fille est entourée de tout ce dont elle a besoin, quand elle vit à fond la joie de son jeune âge, voici qu'une célèbre Missionest prêchée à Palma par des P.P. Jésuites , Franciscains , Capucins , et Missionaires du Sacré Coeur, dans la Cathédrale et trois grandes paroisses de la ville. Toute la ville y assista, riches et pauvres, petits et grands, assistant avec ferveur aux différent sactes. De nombreuses vocations surgirent de cette Mission. María aussi assista à la Mission, mais sans prévoir qu'elle allait " tomber du cheval " comme Saint Paul, ou plutôt du lit qui la retenait davantage.
Le premier grand sacrifice que le Coeur deJésus allait demander à " María la dormeuse " serait de se réveiller àune heure qu'elle n'avait jamais imaginée: 5h 30' du matin ! Elle était très paresseuse pour se réveiller le matin. Elle faisait des efforts, avec bonne volonté, mais c'était inutile.
Elle avait besoin d'une grâce spéciale pour vaincre cette paresse. Et c'est par Marie que lui vint cette grâce.
La Mission commençait par la récitation du Rosaire de l'aurore. María, qui aimait ardemment la Sainte Vierge, voulait y assister; mais voyant ladifficulté de se réveiller si tôt, elle invoqua la Vierge avec foi , et cettemère incomparable ne se fit pas attendre. Désormais la jeune femme comprit pour toujours - et ce fut pour elle comme un charisme particulier - que les efforts personnels ne suffisent pas, mais qu' il faut compter avant tout avecla grâce de Dieu. La Vierge lui avait accordé cette grâce. Elle serait désormais la personne la plus ponctuelle qu' on puisse imaginer, à commencer par ce réveil matinal au Carmel, qui n'est pas toujours facile. Elle sautaitdu lit en entendant les claquettes, et, qui plus est, elle se réveilla long temps avant la communauté pour sonner elle-même les claquettes.
Au cours de cette Mission, la Mère de Dieu lui accorda non seulement la grâce de se réveiller à l'heure mais aussila grâce de la vocation religieuse, par la médiation d' un prédicateur, le P. Iñesta, S. I. Car la Vierge est si reconnaissante que, même si nous luioffrons un tout petit sacrifice, en voyant notre amour elle nous comble degrâces.
7.- MARÍA CATÉCHISTE.
Elle avait un grand esprit missionnaire. Lors qu'elle enseignait le catéchisme à ses petites soeurs Mercedes et Blanca, elle leur expliquait que les catholiques souffraient une grande persécution au Mexique, de sorte qu'elles devaient être bonnes et prier pour le Mexique.
Aussi, pour leur inculquer l'amour de la Sainte Vierge, elle leur apprenait à prier 3 " je vous salue Marie " matin et soir et àvénérer la pureté de Marie. En plus, elle leur enseignait des prières à l'ange gardien, le Credo, l'acte de contrition pour faire une bonne confession... Si, María se distinguait par sa grande patience, les petites élèves étaient de véritables diablotins.
María avait une grande vénération et un grand respect envers ses parents; mais surtout une grande confiance. La preuve en est que la première personne à qui elle confia sa vocation religieuse fut sa propre mère.
8.- SES SOEURS SE RENDIRENT COMPTE À CAUSE DE...
Au moment de recevoir la vocation religieuse, elle décida de changer radicalement de vie et de gravir sérieusement la montagne de la sainteté; en premier lieu, elle ne se renditplus aux fêtes, ni au théâtre, ni aux endroits qu'elle fréquentait le plus. Bien sûr, sa soeur la plus proche, qui l'accompagnait souvent, remarquatout de suite le changement et dit à leur mère que María deviendrait nonne, ce que celle-ci confirma sans problème.
Même Mercedes, ce petit diablotin de 5 ans qui suivait le cours de catéchisme, perçut la transformation de sa soeurlors qu'un jour elle eut la brillante idée de lui enlever les épingles qui sou tenaient son chignon et María ne s'énerva pas, alors qu'auparavent elle l'aurait grondée fortement.
Même les domestiques se rendirent compte du changement car, à l'encontre de ses habitudes, María commença à les aiderà monter des jarres d'eau depuis la cour jusqu'aux chambres, c' est à dire trois ou quatre étages.
9.- LE SECRET DE SA VIE: LA CONFIANCE DANS LE COEUR DE JÉSUS.
Comme toutes les personnes qui essayent d'atteindre la cime à la force du poignet, María ne mit pas longtemps àtrébucher.
Comme nous l'avons dit, elle avait décidé de ne plus jamais se rendre à aucune fête mondaine. C'était unedécision définitive. Sa volonté était si ferme que María croyait que jamais elle ne faiblirait. Sa détermination était très forte.
Mais, de fait, il n'en fut pas ainsi. Il y avait un jour une fête de société et María décida de ne pas y assister. Mais sa grand-mère lui montra un ravissant tissu en laine d' argent pour confectionner des chaussures; à l'instant même, María succomba à la tentation. Elle alla à la fête. Mais... Où était donc sa détermination? Une belle étoffe avait suffi pour détourner sa volonté?
Cet évènement la marqua à vie. Elle entira une telle humilité de coeur, si profonde et si sincère, qu'elle compritles paroles de Jésus: " Sans moi, vous ne pouvez rien faire ". Età partir de ce jour-là elle ne prit jamais une seule résolution sans enconférer d' abord avec le Coeur de Jésus, sans s'abandonner pleinement à ce divin Coeur et à sa miséricorde. Car elle avait compris que toute seule elle nepouvait que trébucher. La preuve en est qu' à dater de ce jour elle ajoutait toujours ces paroles à ses résolutions: " Mais que ce soit Toi, Coeur deJésus, qui l'accomplisse en moi ". Elle savait que sans cet appui elle tomberait. Désormais elle pouvait gravir la montagne de la sainteté sansorgueil. Ceci nous rappelle les paroles de la Santa Madre: Teresa toute seule est un maravedí, mais Jésus et Teresa sont tout et peuvent tout.
Son père lui disait toujours qu'elle commençait ses projets à fond mais qu'elle se relâchait aussitôt. Désormais, avec le Coeur de Jésus, elle les commençait à fond et les finissaient avec encore plus d'intensité.
10.- PEU DE TEMPS AVANT SON ENTRÉE AU CARMEL.
Un jour, Mercedes entendit un homme qui marchait dans la rue prononcer un gros mot et elle le répéta. María, qui était tellement droite, voulut la corriger. Il y eut même une poursuite. La petite, par peur de l' aînée, se mit à courir, et María la poursuivit. Le petit diablotin se réfugia sous la table de la salle à manger et quand María l'attrapa, elle lui mit du sel dans la bouche pour qu' elle ne dise plus devilains mots.
Quand elle manifesta à son père le désirde se faire carmélite, celui-ci lui demanda d'aller voir le P. Martin de Jésus-Marie, O.C.D., fondateur et longtemps prieur du couvent de Palma, pour qu'il puisse discerner avec elle la volonté de Dieu. Après l'entretien, le P. Martin annonça au père que non seulement " María avait la vocation de carmélite, mais qu'elle serait bien tôt prieure ". Plus tard, lorsque ses paroles s'accomplirent, le P. Martin ajouta : " Cen' était aucune prophétie, c'était quelque chose qui sautait aux yeux, carla jeune fille avait de très bonnes dispositions, elle promettait vraiment beaucoup ".
Nous ne connaissons pas exactement les changements intérieurs qui seproduisirent en elle, même si nous avons analysé les changements extérieurs; mais ce qui est évident c'est la transformation du regard de María sur les photos faites après sa conversion. Ce regard rayonne une paix et une puretéangélique qui révèlent le fond de son âme.
Dans la photo traditionnelle que les aspirantes se faisaient avant leur entrée au Carmel, il y a parfois despetites " distractions " : ainsi, Sainte Thérèse des Andes mit sacoiffe à l' envers. María eut aussi sa distraction: elle oublia d'enlever ses bagues.
Il y a toujours des personnes quidé couragent ceux qui veulent se consacrer à Dieu. Un prêtre qui apprit qu'elle voulait entrer au Carmel lui dit : " Une demoiselle comme vous recevra beaucoup de coups d'épingle de la Communauté ". (Autrement dit, la Communauté lui rendra la vie impossible). Mais cela ne la fit pasreculer. A la fin de sa vie, quand elle nous racontait cette anecdote, elle nous disait pleine d'humilité et de charité fraternelle: " Personne nem'a jamais piquée ".
11.- ENTRÉE AU CARMEL.
Elle entra au Carmel de Palma de Mallorca le 24 octobre 1928, fête de Saint Raphaël Archange. Elle avait 23 ans. Elle choisit ce jour-là pour que l'Archangela guidât sur le chemin. Elle aurait toujours une grande dévotion envers Saint Raphaël.
Son père n'eut pas le courage de l'accompagner jusqu'à la porte du monastère, malgré son courage de vaillant militaire chrétien. Sa mère l'accompagna, et quelques soeurs. Néanmoins, María se rappellera toujours les paroles de son père comme un constant rappel à l'ordre: " Si tu ne deviens pas sainte, ce n'était pas la peine de nous quitter ". Cette séparation fut très coûteuse pour Mr. Jaime; ilavait des projets excellents pour sa fille. María n'oublia jamais ces paroles. Elles luidonnèrent le sens de la responsabilité.
Elle aimait beaucoup sa famille et priaità ses intentions, mais elle essayait de ne jamais mettre en avant sa noble ascendance. Longtemps après, lorsqu'une religieuse de sa famille voulut lui rappeler ses "grandeurs" elle répondit: " Ne parlons jamais de la famille. Pensons que le Seigneur était le Roi des rois et qu'il quitta tout. Plus nous serons détachées de nous-mêmes, plus le Seigneur nous comblera de son amour ". Ce détachement marqua toute sa vie de carmélite jusqu'à la mort.
Comme à toutes les postulantes, un jour la maîtresse des novices lui demanda d'aller se reposer pendant que la Communauté priait au Choeur. María n'apprécia pas du tout cette consigne, car depuis ledébut elle avait décidé de vivre l'observance sans faille pour le Coeur de Jésus. Elle supplia donc la maîtresse de la laisser continuer au Choeur, maiscelle-ci refusa. Alors María se dit: " Que préfère le corps, rester au Choeur ou aller dormir? Dormir. Et l'âme, comment grandira-t-elle, enobéissant ou en faisant sa volonté? En obéissant ". Alors, elle s'enfut contente pour faire la volonté de Dieu... en dormant. Et elle ne discutaplus.
12.- NOVICE : SON NOM DE RELIGION.
Le 25 avril 1929, jour de ses 24 ans, María reçut le saint habit du Carmel qu' elle désirait tant. Elle voulait prendre le nom religieux de MARIA TERESA DU COEUR DE JESUS. C'était tout le programme qu'elle voulait vivre. María : sa tendre mère qu' elle aimait tantet dont elle portait le nom depuis le baptême. Teresa : qui lui montrait le chemin de la Réforme et le chemin de perfection ; l'esprit de Notre Sainte Mère allait guider tous les détails de sa vie religieuse !. Du Coeur de Jésus : Elle ne vivait plus que pour son amour, sagloire, pour lui faire plaisir, sauver des âmes avec lui... Tout pour lui.
C'était le désir de María, mais on luidonna le nom de MARIA DE LA CONCEPCION DE SAN JAIME Y SANTA TERESA. C'était son prénom complet de baptême qui était aussi celui de sa mère. On ajouta San Jaime pour son père.
La Maîtresse des novices leur apprenait àne jamais faire leur volonté : " Toujours elles doivent faire le contrairede ce qu'elles veulent faire ". La novice ne disait rien, mais elle pensait: " Je ferai toujours ce que je voudrai, parce que je ne veuxjamais m' écarter de la volonté de Dieu. Alors je ferai toujours ce que jevoudrai ".
Dès son entrée, elle aurait pu professer, car elle voyait clairement la nature de la vie religieuse. Comme la petite Thérèse, elle ne se faisait aucune illusion. Elle ne s'étonnait de rien. Elle s'imposa une consigne: " Je dois agir en sorte que chacune puisse faire ceque je fais ". Elle accomplit admirablement cette consigne pendant 70 ans. Elle était vraiment un miroir d' observance où l' on pouvait se regarder.
Elle ne se lassait pas de rendre grâce à Dieu pour sa vocation de Carmélite Déchaussée. Dans une lettre à une tante elle écrit : " Je crois que si je devais choisir mille fois, mille fois je choisirais la même chose ".
Pendant son noviciat, elle reçut une grâce mystique extraordinaire. Jamais elle ne nous précisa sa nature. Nouss avons seulement que ce fut une grâce intérieure très intense, un peu comme lefeu d' amour de la petite Thérèse. María manifesta alors à Notre Seigneur qu'elle sou haitait vivre de pure foi, et lui supplia instamment de réserver toutes les grâces pour le ciel, et non pas pour la terre.
Elle fut chargée de faire un portrait de Sainte Thérèse Marguerite, une peintureà l'huile de 2 x 1,50 m. La communauté voulut que son père en fut le parrain. Mais Mr. Jaime voulait s'assurer de la qualité dela peinture afin de ne pas faire le ridicule. Il demanda l'avis de son professeur de peinture, Mr. Vicente Furió, qui rassura le père après avoir vule tableau. Alors, tout fier, il parraina l'oeuvre de sa fille.
Mr. Jaime écrivit un petit billet que María conserva toute sa vie dans son livre des Constitutions. Voilà son contenu : " Chère fille, j'ai lu la vie de la nouvelle Bse. carmélite dont tu dois faire le portrait. Quand tu seras en train de la peindre, remarque qu' elle avait les cheveux roux, comme toi. Puisque vous vous ressemblez dans la couleur des cheveux, tâche de lui ressembler aussidans la sainteté et l' observance de la règle. Affectueusement, ton père quivoudrait bien acheter ton tableau ".
En effet, elle ressemblait physiquement à la Bse. mais surtout, elle lui ressemblait spirituellement. La jeune soeur María Concepción était pour toutes les soeurs une colonne d'observance de la Règle et de sainteté.
13.- PROFESSION.
Elle fit ses premiers voeux le 26 avril 1930, lendemain de ses 25 ans et jour anniversaire de son baptême. Trois ansaprès, elle fit sa profession solennelle : " Sans mitigation, jusqu'à la mort ". Nous soulignonsces mots à dessein, car sans cesse elle nous les répétait quand nous voulions lui donner quelque soulagement, et ce, jusqu' à la mort. " Moi, quand je fis profession, je le fis sans mitigation, jusqu' à la mort ".
Elle entra au monastère avec une " détermination déterminée ", détermination qui augmenta avec le temps jusqu'à devenir une figure éminente de sainteté et de vertu; une carmélite àpart entière, très mortifìée, observante, héroïque.
14.- OBÉISSANCE : REGARD DE FOI.
Un de ses premiers offices fut celui d'aide-sacristine. La sacristine était une soeur très active et pleine d'initiatives. Elle eut l'idée, pendant la retraite et les exercices spirituels, de confectionner des bouquets en papier pour décorer les autels, et elle demanda à son assistante de le faire. La soeur Concepción considérait que ce n'était pas le meilleur moment pour le faire -temps qu'elle aurait pu consacrer à méditer les conférences- et elle résistaitintérieurement à cet ordre. Mais elle fit un acte de foi, et se consacra detout coeur à la confection de ces bouquets, sachant que c'était la meilleure manière de plaire à Dieu. Et le Seigneur récompensa si bien cet acte d'obéissance qu' elle commença à sentir un goût intérieur intense enconfectionnant les bouquets. Elle nous racontait cette anecdote par la suitepour nous habituer à poser un regard de foi sur tous les évènements, voyant lavolonté de Dieu dans tout ce qui nous est demandé, même si l'ordre est parfois maladroit.
Elle nous racontait qu'elle essayait d'obéir à n'importe quelle soeur, même si elle était jeune et n'avait aucune autorité sur elle. Par exemple une jeune soeur sans aucune charge lui dit unjour qu' elle devait toujours " retrousser son habit " pour entrerdans telle pièce. La M. Concepción voyait bien pourquoi à une certaine époque on relevait toujours son habit pour entrer dans cette pièce, mais les conditionsayant changé, plus aucune soeur ne le faisait, et à juste titre , mais comme elle vit que c' était une bonne occasion de nier sa volonté propre , parhumilité elle retroussait son habit en entrant dans cette pièce. Elle le fitmême après la mort de la soeur qui le lui avait commandé, jusqu' au jour où la Mère Prieure lui enleva cet " ordre ". Elle avait 87 ans. On lui avait demandéégalement de relever son habit en rentrant dans le potager, ce qu'elle fit jusqu'à la fin de sa vie, même si aucune soeur ne le faisait.
Par ailleurs, elle ne faisait jamais deremarques aux autres soeurs, car elle avait lu qu' il ne faut pas se mêler del'office d' une autre soeur, même sur un moindre détail. Elle avait à l'esprit les " précautions " et les " avis à un religieux " de notre père Saint Jean de la Croix, qu'elle essayait de vivre au quotidien.
A la fin du noviciat on lui donna une cellule de professe pour le reste de savie. Il y avait derrière la porte quelques clous pour suspendre le linge. Cela lui parut vraiment insuffisant et elle fut sur le point de demander unelicence pour en obtenir d' autres, mais aussitôt elle se ravisa et se contentade ce qu' elle avait par mortification. Elle nous disait elle-même : " Ces clous me suffirent largement et je n' eus jamais besoin d' autre chose ". Quand il nous semblait que nous ne pouvions pas faire quelque chose, elle nous répondait: " Essayez ". Elle se rappelait certainement cepetit détail.
15.- CONSÉCRATION AU COEUR DE JÉSUS : la règle de vie la plus parfaite.
Après avoir proclamé sa fête, S.S. LéonXIII consacra le monde au Sacré Coeur de Jésus. Comme préparation, il écrivitl' encyclique " Annum sacrum " dans laquelle il dit : " Cetteforme éminente de vivre la religion ". Et encore : " C'est opportunet juste de se consacrer à son coeur, parce que ce coeur renferme le symboleet l'expression de la charité infinie du Christ. Ainsi donc, nousencourageons pleinement cette dévotion. Cette consécration apporte aux peuplesl' espérance de temps meilleurs. Dans le Coeur du Christ nous devons mettretout notre espoir, nous devons l' implorer et attendre de lui le salut. "
Dieu accorda à la Mère Concepción devivre presque un siècle de consécration. Elle mourut la même année du Centenaire: 1999.
Pie XI écrivit en 1928 dans l' encyclique " Miserentíssimus Redemptor " : " Cette dévotion renferme lasynthèse de tout le christianisme et la règle de vie la plus parfaite, car c'est celle qui conduit les âmes à laconnaissance intime du Christ et qui pousse les coeurs à l'aimer avec plus de véhémence et à l' imiter avec plus d' exactitude ".
María se consacra personnellement au Coeur de Jésus, avec toutes ses choses, le 8-9-1939, à 34 ans. Elle le fit si sérieusement que sa vie n'a de sens qu'àla lumière de cette consécration. Nous extrayons quelques paragraphes de cetexte qu' elle a appliqué avec simplicité, joie et héroïsme:
J'accepte heureuse ce pacte que Tu désires si doux et si honorable de T'occuper de moi et de m'occuper de Toi... Même si tu me tues j' attendrai toutde toi et j' aurai confiance en toi... Je veux, Mon Dieu, m' oublier complètement, oublier mes intérêts, et m'abandonner entièrement à toi, mereposant sur ta douce providence, avec une paix sûre et tranquille.
Je me propose de faire tout mon possible pour n' avoir d' autre idéal surla terre comme au ciel que Tes saints intérêts.
Travailler pour que Tu règnes dans tous les coeurs... Oraison, constante oraison pour que Tu règnes partoutet à tout moment... et dans toutes les occupations quotidiennes.
Sacrifice passif pour que Tu règnes... sacrifice actif avec pénitences extérieures et victoires intérieures... continuelle mortification...
actes de vertu, accomplissant à chaque instant le devoir d' état, en donnant un très bon exemple mais sansattirer l' attention...
Je veux faire tout mon possible avec des souffrances, des prières, dessacrifices, une vie sainte et apostolique pour réparer ton honneur et tagloire divines en leur redonnant la splendeur que tu mérites selon mespauvres possibilités.
J'attends tout de Toi et je n'attends plus rien de moi et je me réjouis qu'il en soit ainsi, afin qu' on sache éternellement que toute la gloire està toi et que rien ne provient de moi."
Cette consécration, qu'elle renouvelait continuellement, marqua toute sa vie. Les paroles qu' elles contient sont unevéritable autobiographie. Nous en sommes témoins. Tout ce qu' elle a alorspromis, nous le lui avons vu pratiquer au quotidien sans la moindre fatigue, mais plutôt pleine d' entrain, de joie et de générosité. Elle nous répétaitsouvent : " L' amour ne se lasse pas, et quand il se lasse, ce n'est pas de l' amour." La Mère Concepción ne se lassa jamais d' aimer le Coeur de Jésus, et, à travers lui, d'aimer son prochain.
16.- HUMILITÉ DE COEUR : TOTAL OUBLI ET MÉPRIS DE SOI.
L'une de ses plus grandes caractéristiques fut cet oubli de soi, " mépris total de soi " : de sa personne, de ses choses . Elle ne pensait jamais à elle-même, mais auxautres, par pur amour de Jésus.
Quand elle rentra au Carmel, elle le fiten vérité, sans aucune réserve. Elle demeurait sans cesse dans le Coeur de Jésus. Elle apprit à son école à nejamais se plaindre, de rien ni de personne , à ne pas murmurer contre les évènements venant de Dieu ou des hommes, ou même des créatures irrationnelles. Elle savait qu'elle n' était rien, et comme le néant n' a aucun droit, elle ne se plaignait jamais. Elle ne parlait jamais de sa famille, ni de seschoses, ni de rien qui pût l' élever au regard des autres. Elle aimaitrépéter en son for interne, et même à l'occasion de poésies au cours des récréations, ces paroles de Kempis : " L'homme n'a en lui aucun bien qui luiappartienne ". Chez elle, l'humilité n'était qu'un rayonnement de l'humilité du Saint Esprit.
Elle apprit à l'école de ce Divin Coeur àne jamais se plaindre, à ne pas s'excuser, à ne pas mettre ses droits enavant. Elle apprit l' HUMILITÉ DE COEUR. Et par pur amour envers lui, elle s'engagea à fond dans l'observancede la Règle et des Constitutions, le Droit de la Carmélite, le coutumier des novices et le Cérémonial.
Elle s'appliqua à vivre les voeux de religion avec une grande fidélité et à s'imprégner de l'esprit de nos Saints Réformateurs. Une novice disait à sa mort : " Si je n' avais pas lu lestextes de nos Saints Fondateurs et nos Saintes Lois, je les aurais connuesdans le détail par ce que j'ai vu pratiquer à la M. Concepción cette dernière année, le temps où je l'ai connue ". En effet, elle était exemplaire en tout; une colonne d'observance incomparable. Son intérêt pour les actes de communauté ne pouvait pas être plus grand. Un modèle d'observance et de vertu. Et tout cela sans raidissement, sans murmurer contre d'autres procédés pas siparfaits. Tout cela enveloppé dans le plus grand naturel, bonté, compréhension, simplicité, et discrétion. Elle personnifiait les paroles de Saint Jean de la Croix : " Agir et se taire."
Au moment de travailler, elle arrivait toujours la première, et ne rouspétait jamais contre les soeurs un peutardives et nonchalantes. Et quand une soeur rouspétait, elle répondai tsimplement : " Moi, je travaille avec mes mains ". C'est à dire, moi, que les autres travaillent bien ou mal, cela m'est égal, j'essaye detravailler au maximum, le mieux que je peux, et c'est ainsi que le travailavance et que je ne perds ni la paix intérieure ni la charité.
Elle avait une mémoire prodigieuse. Toutce qu'elle lisait demeurait dans sa mémoire. Elle était une sorte de bibliothèque ambulante. Par conséquent, dès que nous avions besoin d'un renseignement, elle nous le facilitait à l'instant. (Chroniques de l' ordre, N.N.S.S. fondateurs, les coutumes de la communauté, le droit canonique, le droit de la carmélite, le Catéchisme de l'Eglise Catholique, la vie dessaints, etc)
C'était vraiment un délice. Elle étaitsi vertueuse, sobre, carmélite déchaussée à part entière, équilibrée, pleine de bon sens et de clairvoyance; en plus, elle avait tellement lu, elle était tellement surnaturelle, Dieu lui avait donné une intelligence si fine qu'elle était devenue une sorte d'oracle communautaire, affermissant etencourageant toujours son entourage. Plusieurs couvents nous ont écrit pour nous rappeler combien elleavait été appréciée à Avila à l' occasion de la visite du Pape: " Les novices l' abordaient dès qu'elles le pouvaient, et elle qui était si petite était grande dans la connaissance de Dieu."
Elle lut au moins trois fois l'Ecriture Sainte en entier. Elle connaissait le Catéchisme par coeur. Quand elle nepouvait pas garder plus longtemps les oeuvres de nos Saints Fondateurs, elle copiait des textes importants de leurs oeuvres, ou d' autres saints, ou desdocuments du Pape ( le célèbre radiomessage de Pie XII aux cloîtrées)... pour les assimiler dans sa vie. Nous pouvons affirmer que tout ce que nous possédons de sa propre main (des textescopiés la plupart du temps) constituent en quelque sorte son autobiographie.
Elle s' efforça dans toutes les vertus etappliqua admirablement la doctrine de nos Saints Fondateurs. Elle s' inclinait " non pas au plus mais au moins ". C' était une âme entièrement " cachée avec le Christ en Dieu ". Elle fuyait le plus qu' ellepouvait le parloir; elle préférait que les autres parlent. Elle cherchait l'anonymat; le travail le plus humble, le plus inconfortable, le plus lourd. Quand elle était jeune , elleenviait les plus âgées, parce que pendant les travaux, elles ne faisaient pasde pause, alors que les plus jeunes en faisaient. Et elle se disait : " je veux être plus âgée pour pouvoir travailler comme elles, sans repos." Et si d' aventure elle avait un malaise pendant la nuit , elle s' enréjouissait car ainsi elle passait inaperçue, et pouvait observer la règle et travailler le lendemaincomme les autres.
17.- MORTIFICATION.
Sa mortification était extrême et continuelle. Elle disait que d'après le Concile la pénitence devait être " généreuse " ; et ainsi quand elle venait, elle rendait grâce à Dieu, la lui offrait et sou haitait intérieurement une pénitence plus importante, en se rappelant les mots du Concile : pénitence généreuse. Elle essayait dese mortifier toujours et en tout. C'est ainsi qu'elle prit l'habitude de ne jamais prendre de petit déjeuner, jusqu'au jour où les médecins lui donnè rent des médicaments qui ne pouvaient se prendre à jeun ; elle avait 80 ans passés. Elle disait que " le petit déjeuner fait perdre beaucoup de temps." Et pendant des années elle jeûnait le vendredi au pain et à l' eau.
Elle s' arrangeait pour avoir toujours le pire, ce que personne ne voulait, ce qui ne servait à rien. Elle se mortifiait entout: les vêtements, la position (elle n' appuyait jamais le dos, n'étirait pas les jambes , ne croisait pas les pieds , même seule en cellule ) .Elle fuyait le confort . Elle mortifiait également ses sens: ne voulant passentir une bonne odeur, ne voulant pas toucher quelque chose d' agréable... Mais surtout elle le faisait naturellement, sans se faire remarquer.
Pendant les repas elle ne laissait jamais une seule cuillérée de l' entrée ou du plat de résistance pour avoir droit audessert qu' on passait parfois au réfectoire. Elle s' habitua à prendre dubicarbonate après les repas. Les cuisinières voyant qu' elle finissait lasoupe et qu' elle en reprenait encore lui en redonnaient volontiers , et ainsi, elle prenait très peu de plat de résistance, et, bien sûr, jamais dedessert. Une anecdote amusante: lors qu'une soeur pleine de charité lui ditun jour : " M. Concepción, ne prenez pas tant de soupe, car la soupe nenourrit pas ". Elle répondit avec une grâce qui nous saisit : " La soupe m' a bien nourrie pendant 70 ans."
Elle faisait comme Saint Pierre d'Alcantara qui, pour tromper son corps en période de grand froid, ouvrait d'abord la fenêtre et la refermait ensuite pour soulager son corps. C'est quand elle n' avait pas du tout faim qu' elle accommodait un peu mieux sa nourriture. Elle mortifiait également tous ses sens. Elle nous disait : " Moi, envérité, quand je trouve une quelconque mortification, quelque chose qui mecoûte, j'essaye de vouloir cette chose avec plus d'ardeur, et aussitôt, je ne sais comment, la mortification disparaît et cela ne me coûte plus rien." Elle nous en parlait comme d'un " truc personnel." Malgréses grandes douleurs, comment pouvait-elle employer ses expressions préférées : " C'est très bien; je n' en ai pas besoin; je peux faire cela; celane me coûte pas; rien ne me fait mal..." Elle le disait avec une tellenaturalité que nous finissions par le croire.
Elle s'oubliait complètement. Par exemple, elle n'alla jamais chez l'oculiste ; elle prenait dans une boîte de la procure la paire de lunettes qui lui convenait. Et, plus tard, elle prenait celles de sa soeur de sang. Elle disait : " C'est parfait: quandma soeur a besoin de changer ses lunettes, celles qu'elle laisse sont celles qui me vont bien. Elle a un degré de plus que moi ". Et elle appliquacette " méthode " jusqu' à ce que nous raconterons au terme deces pages. Cependant, lorsque les soeurs voulaient allumer lalumière en récréation, elle disait toujours qu' elle voyait parfaitement; elle continuait son ouvrage, malgré l' obscurité. Les lunettes de sa soeurdevaient être excellentes!
Il en était ainsi pour toutes ses choses. Quand on lui demandait, elle disait toujours qu'elle allait très bien, qu'elle n'avait besoin de rien. Si on lui disait: cela ne sert plus à rien, elle répondait : " cela me va très bien ". Elle donnait les meilleur eschoses aux autres avec simplicité. Elle était naturelle comme Saint Pierre d'Alcantara quand N. M. Sainte Thérèse lui demandait étonnée comment il pouvait supporter de telles pénitences . Il disait que c'était tout à fait possible. Ainsi faisait la M. Concepción. Elle se mortifiait comme si de rien n'était. Tout jaillissait de son amour profond pour le Christ. Elle était tombée amoureuse de Lui et l' aimait chaque fois plus. Elle avait écrit au cours d'une retraite : " Je suis intensément amoureuse du Christ ". Voici le secret de sa vie héroïque : lepur amour. Elle nous répétait souvent : " aimer c'est se donner, se sacrifier, s'oublier pour celui qu'on aime ". Tout devient alors facile et doux . Elle avait appris une phrase de N. S. Père Jean de la Croix phrase qu'elle nous répétait souvent : " Quand l' âme est vraiment déterminée (elle soulignait vraiment) à vouloir trouver et porter le travail en toutes choses pour Dieu, elle y trouvera une grande douceur et suavité si elle n'y met aucune volonté propre. " C'est ainsi qu' elle avait toujours vécu les travaux et contrariétés, par pur amour du Coeur de Jésus ,trouvant en toutes choses douceur et suavité. Elle était vraiment déterminée, et donc, pleinement heureuse. Elle nous répétait : " Je ne veux pas vivre sans croix, parce que je sais qu' ilest important dans la vie, courte ou longue, de souffrir ou mourir ".
Elle fut une âme vraie. Les paroles de La Santa Madre : " l'humilité, c'est la vérité " s'appliquent parfaitement à cette âme de choix. Quelques personnes nous ont dit que ses qualités principales étaient la rectitude et la vérité. Elle étaitdétachée de tout et d' elle-même, elle n' écoutait pas la voix du qu' endira-t-on, n'évitait pas de dire la vérité par peur de l' effet produit, ne prenait pas d' intermédiaires pour dire le nécessaire. Non. Rien de tout cela. Elle était guidée uniquement par la rectitude et la vérité. Elle vivaituniquement pour Dieu. Elle disait par rapport aux personnes qui étaient venueslui demander conseil : " Je leur aidit toujours la vérité ". Elle nous disait : " Nous devons nous réjouir quand on amauvaise opinion de nous. " Et encore : " Si on pense mal de nous , tant mieux. " Telles étaient sesconsignes et sa vie. Elles s'enracinaient dans une profonde humilité de coeur.
Dès son jeune âge, elle vivait en grande union avec Dieu. Elle se déplaçait normalement très recueillie et égrenant sonrosaire qu' elle récitait tous les jours en entier, y compris les bras encroix pendant un mystère qu' elle offrait pour l' Espagne. Elle répétaitconstamment son oraison jaculatoire préférée : " Coeur de Jésus, j' aiconfiance en vous. "
Elle eut la charge d' infirmière et elleeut un peu peur: "Je n' ai jamais été malade et je ne comprendrai pasles soeurs malades. "Et elle en souffrait. Mais heureusement il n' enfut pas ainsi. A chaque malaise d' une soeur elle se disait: "Je n' aipas d' expérience de cette douleur, mais elle doit être très grande. " Et alors elle s' appliquait beaucoup à soulager la soeur , plus que si elle eûtéprouvé cette douleur. Elle disait un jour à l' une d' elles: "Comme jevous envie, comme j' aimerais avoir cette douleur pour l' offrir au Coeur deJésus! "Elle voyait Jésus dans les malades. Elle s' occupa d'une soeurâgée et pensait : " Je prendrai soin d' elle comme si c' était ma mère ,que je ne pourrai soigner. "
Elle voulait aider à tout prix, et commeelle ne savait pas faire des piqûres, elle s' exerçait sur elle-même, préférant se faire mal plutôt que de faire mal aux autres.
18.- PRIEURE PENDANT 21 ANS. Volonté de Dieu. Divine Providence.
Le droit canonique d' alors n' autorisaitpas la charge de Supérieur Majeur avant l' âge de 40 ans. En 1946 il y eut desélections. Elle fut élue Prieure. Quand on lui demanda si elle acceptait elle répondit : " Si c'est la Volonté de Dieu." Exactement les mêmes paroles chaque fois qu'elle fut élue Prieure. Elle le fut pendant 21 ans non consécutifs. (Celle qui l'a été le plus longtemps depuis la fondation du monastère en 1617) . Le priorat ne latroublait pas, et elle gardait la paix quand elle ne l'était plus. LA VOLONTÉ DE DIEU ! Voilàsa paix. Elle ne vivait que pour elle et n' agissait que par elle. Cette Divine Volonté était le secret de son égalité d'humeur , de sa paix immuable en toutes circonstances . La M. Concepción et laVolonté de Dieu iront toujours ensemble . Quand on allait la voir pour un problème , une souffrance ou une question ,elle nous orientait vers la Volonté de Dieu comme vers un Nord infaillible. "Voluntas Dei , Pax nostra." Elle reposait sa vie entière sur cette Volonté Divine. Rien ne pouvait altérerla paix de son âme. Ni la vie ni la mort, ni la santé ni la maladie, ni le Priorat ni le non Priorat, ni tel office ni tel autre, ni telle Prieure ni telle autre, ni aucune circonstance du couvent ou de l' extérieur, rien ne la troublait, rien n'altérait sa paix. " Rien ne m' empêche de dormir " disait-elle parce qu'elle reposait entièrement dans les bras de la Volonté Divine et de son amoureuse Providence.
Nous allons raconter une anecdote pour découvrir à quel point elle avait confiance en la Divine Providence et comment celle-ci répondait à ses attentes.
Une jeune novice devait suivre des cours de musique. Le professeur s'offrait pour des cours gratuits, mais elle exigeait un piano car l'harmonium ne lui convenait pas du tout. Mais oùtrouver un piano ? La novice recevait justement la visite de sa famille. Elle demanda à la M.Concepción, Prieure, si elle pouvait demander à sa famille le piano qu'ils avaient chez eux. La Mère réfléchit un instant puis elle répondit : " Non. Ayez confiance en la Providence. " La jeune novice ne savait pas ce que c'était que la Providence. En revanche, elle connaissait l'obéissance.
Ainsi donc, sa mère arriva et lui demanda si elle voulait quelque chose. Par trois fois la novice dut se vaincre, enrépondant qu'elle n' avait besoin de rien. Elle pensait à ces paroles : " Non. Ayez confiance en la Providence." Elle ne le fit pas pour la Providence mais pour obéir à sa Mère Prieure. Quel grand effort elle dut faire ! Elle pensait àpart soi : " Mais, comment allons-nous confier un piano à la Divine Providence! Encore un petit objet, d'accord , mais un piano ! Qui peut bien nous offrirun piano ? "
La Divine Providence ne se fit pas attendre. Moins d' une semaine après, on nous offrit un piano qui nous arriva de Séville, avec l' accordage et les frais d'envoi payés ! Désormais la novice comprit ce qu' était la Providence.
Revenant à la Volonté de Dieu, la M. Concepción avait un seul désir, si l'on peut s'exprimer ainsi: "LE MARTYRE." Quand on lui demandait quel genre de mort elle sou haitait, si celui-ci ou celui-la, dans telle ou telle circonstance, elle répondait invariablement : CE QUE DIEU VOUDRA. La volonté de Dieu. Alors nous lui demandions : aimeriez-vous le martyre ? Et son visage se mettait à rayonner vivement, et elle répondait avec entrain : "je l' ai toujours désiré! Et j' ai confiance, j' espère encore mourir martyr." Elle nous le disait toujours avec un tel amour et avec une telle insistance jusqu' à la fin de sa vie qu'elle aura reçu au ciel la couronne des martyrs dont parle N. P. Saint Jean de la Croix pour les martyrsde désir.
Une Prieure dit un jour : " La M. Concepción est très bonne prieure, mais elle est aussi une "sujette" excellente !." On vérifiait avec elle la vérité de ce dicton : " seul celui qui s'est distingué par son obéissance est capable d' exercer l' autorité. "Ainsi donc, elle voyait Dieu dans le Supérieur, grâce à son regard de foi : " Qui vous écoute m' écoute, qui vous méprise me méprise. " Je fus édifiée par son regard de foi un jour que j'entrai dans sa cellule; elle était déjà très âgée, et avait les deuxhanches cassées . Malgré cela, elle se leva immédiatement. Je lui dit : " Non, Ma Mère, ne vous levez pas pour moi. " Elle répondit auss itôt : " Non, Ma Mère , je ne me lève pas pour vous, mais pour Dieu." En effet, son regard de foi était constant. En rentrant dans lasalle de récréation, la première chose qu'elle demandait (elle était restée quasiment aveugle) c'était : " Notre Mère est là ? " pour vénérer son scapulaire.
Une novice nous raconte qu'elle avait été grandement édifiée le jour de la visite de Notre Evêque. Après la célébration, Monseigneur Teodoro s' approcha de la grille pour saluer la Communauté. Nous nous approchâmes aussitôt de la grille. La M. Concepción, malgré ses 93 ans et sa très petite taille, le fait qu'elle avait perdu lavue, l'ouïe et l' équilibre moteur, se tint là, derrière toutes les soeurs de sorte qu' elle ne se rendait compte de presque rien. Même si l' Evêque ne pouvait pas trop la voir, elle resta là en égrenant son rosaire à voix basse. Une novice lui demanda si elle voulait s'asseoir, mais elle refusa. Au bout d'une demi-heure au moins, la novice lui redemanda si elle voulait s' enaller. Avec la plus grande simplicité, la M. Concepción demanda si Mr. l' Evêque était encore là, et quand elle apprit qu'il était parti depuis longtemps, elle quitta tranquillement le Choeur. Elle avait 93 ans.
Une de ses maximes préférées était : " Je ne ferai rien sans vie intérieure. " Et aussi : " Je souhaite que ma vie soit vraiment sincère. Je me propose d' être sincèrement charitable." Nous l'avons dit avant, la sincérité et la rectitude étaient ses deux caractéristiques principales. C'est au cours de ses priorats que ce la transparaissait le plus.
Elle nous répétait souvent avec la paroleet l' exemple cette maxime : " L'égalité d'humeur dans la contradiction élève l' âme à une grande perfection." Elle vivait en effet avec une admirable sérénité tous les évènements qui se succédaient dans sa vie. Rien ne la troublait, rien ne l' altérait. Sa paix était inaltérable. Elle avait uneforce d' âme hors du commun. Plus que de femme.
Cette paix était sa qualité principale. La paix de Dieu rayonnait de sa personne et on se trouvait apaisé chaque fois qu'on allait la rencontrer.
Elle vivait parfaitement la définition que le Concile Vatican II donne de la vie contemplative : " Silence et solitude, oraison constante et généreuse pénitence. " C'était une âme cachée en Dieu.
Quand nous disons : elle nous disait telle ou telle phrase, c'est comme si nous disions : elle vivait tel ou tel aspectde la vie religieuse, car pour elle, dire et faire, c' était tout un. Elle enseignait avec autorité. Elle était vraiment cohérente et conséquente avec ses convictions.
Quand elle n'était pas prieure elle se distinguait par une grande humilité et une profonde obéissance. D'autant plusque les prieures avaient été ses novices . Même avec la plus jeune, elle était soumise et docile. Elle demandait la permission pour tout, même pour quelque chose de très insignifiant. En récréation elle était parfois la seule à se lever quand la Prieure entrait, et en tout cas , toujours la première. Elle ne donnait pas son avis si on ne lui demandait pas . Elle parlait avec grande révérence et humilité.
19.- CHARITÉ.
Elle aimait si intensément Dieu , qu' elledésirait ardemment le martyre . Et tout ce qu' elle accomplissait en termes d'observance , de vertu et de mortification , elle le faisait par " puramour de Dieu . " Son visage s' éclairait quand elle disait à une soeur :" Vous savez ce que cela suppose que pour une mortification de rien quenous faisons sur la terre, nous connaîtrons , verrons et aimerons davantageDieu pour toute l' éternité ? " Et , enthousiasmée , elle répétait :" vous vous rendez compte ? " et surtout : " POUR TOUTE L'ÉTERNITÉ ! Nous connaîtrons , verrons et aimerons davantage Dieu ! "
La charité de cette âme transformée enChrist mériterait à elle seule un chapitre complet . Elle était très austèreenvers elle-même , mais très humaine envers les autres ; la compassion enpersonne . Quand nous songions à sa charité , comment la présenter , nous avons spontanément pensé à l' hymne de SaintPaul aux Corinthiens . Il suffit de remplacer charité par M. Concepción et" est " par " était " , et le tour est joué.
" La M. Concepción était longanime , bienveillante ; elle n' était pas envieuse ni vaniteuse , elle nese gonflait pas d' orgueil , elle n' était pas discourtoise , ni égoïste ; ellene s' irritait pas , ne pensait pas mal ; elle ne se réjouissait pas de l'injustice mais aimait la vérité ; elle excusait tout , croyait tout , espéraittout , tolérait tout . LaM. Concepción ne se décourageait pas."
Ce que dit l' Apôtre coïncide avec la personnalité de la M.Concepción . Il ne s' agit pas de dire qu' elle fit denombreux actes de charité mais de constater que son coeur était pure charité envers tous : avec ceux qui étaient loin et avecceux qui étaient près . Sa charité était véritable parce qu' elle jaillissaitde son humilité de coeur.
La compréhension avec les soeurs ! Lesheures interminables qu' elle a passées avec chacune , une à une , jour aprèsjour , pendant des années , son héroïque patience envers toutes ... Qui seraitcapable de la décrire ?
On percevait en elle les fruits de l'Esprit : "amour, joie, paix, compréhension, serviabilité, longanimité, bonté, amabilité, maîtrise de soi, ... " et ce, jusqu' àson dernier soupir. Elle essayait également d' encourager beaucoup l' amour ,la charité et l' union entre toutes les soeurs . Elle ne voulait pas que nousnous accusions les unes les autres . Elle nous enseignait par son exemple àsupporter vaillamment les défauts les unes des autres , et nous disait que c'était grande charité que de " souffrir avec patience les faiblesses et lesdéfauts des autres. " C' est ainsi qu' elle faisait avec nous toutes .Elle ne nous reprochait jamais nos propres défauts . Elle pardonnait tout ,comprenait tout , excusait tout , espérait tout.
Elle fut mère de Mères . Conseillère etconsolatrice de la Communauté . Toutes les Prieures donnaient toujours licenceaux soeurs qui voulaient s' entretenir de leurs choses avec la M. Concepción .Quelques-unes la tenaient comme un véritable Directeur Spirituel . Elle avaittant de bonté , de rectitude , de bon sens , de clairvoyance , de patience etd' expérience que les Prieures écoutaient volontiers ses conseils . Ellessavaient bien que les soeurs ne pouvaient faire rien de mieux que d' aller s'entretenir un moment avec laM. Concepción.
Et cette âme de Dieu qui aimait tant lasolitude et le silence était le " défouloir " de la Communauté .Constamment elle devait écouter l' une ou l' autre soeur qui frappait à saporte avide de conseils . Elle s' occupait pendant ce temps à confectionner desscapulaires ou à rapiécer des choses .Elle était ainsi très recueillie en Dieu . Et elle avait une telle soif de Dieu, d' être seule avec Lui , sans créatures qui interrompent sa solitude , qu'elle nous disait en plaisantant : " Quand je serai au ciel , laissez-moien toute paix jouir seule avec Dieu ; ne venez pas toutes les secondes "toc , toc " frapper à ma porte ... "
Quand elle était prieure c' était surtout afin de s' occuper de ses soeurs, à qui elle donnait la première place .Elle prenait à sa charge, dans sa tâche de prieure , les affaires les plus délicates , mais déléguaitfréquemment à plusieurs soeurs les affaires courantes afin de pouvoir seconsacrer plus librement à écouter ses soeurs . Elle fuyait le plus qu' ellepouvait la communication avec l' extérieur et la soeur tourière lui évitaitconstamment des parloirs . Elle me passait souvent le téléphone quand j' étaissous-prieure . Et ainsi elle accomplissait son propos d' être disponible encellule pour les soeurs qui en avaient besoin.
Elle parlait peu et écoutait beaucoup. Elle demandait aux novices si ellesavaient bien dormi . Elle s' intéressait à la vie de chacune : sa famille , sapersonne , ses choses , ses problèmes ... etc. Elle accueillait tout dans soncoeur maternel . Elle priait pour tout et tâchait de remédier à tout. Car eneffet elle était très ingénieuse et habile avec ses mains . Elle réparait des objetsque nous avions cassés . En somme , elle nous aidait en tout .
SOYEZ AIMÉE POUR ÊTRE OBÉIE.
Elle s' était proposée comme maxime : "Je veux aimer mes soeurs comme Jésus nous aime ; être compréhensive ,indulgente , bonne comme une mère . " Et elle le faisait . Si elleremarquait que nous ne pouvions pas réparer ou rapiécer quelque chose , elle lefaisait elle-même ( habits , sandales , ceinture , ... ) . Et quand nous luidonnions quelque chose pour la jeter , elle la prenait pour elle . Elle appliquaitce que recommande " l' instruction des Novices " : " que la Maîtresse balaye parfois la cellule des Novices ." Et ainsi , nous apprenions par son exemple.
Avec les malades , elle était trèsattentionnée . Elle veillait à ce qu' elles prissent les médicamentsnécessaires , même pour une petite indisposition . Elle appliquait le remèdeelle-même : préparer une infusion , faire un massage , mettre une pommade , oudes gouttes ... Tout ce qui requérait son esprit d' humilité , de service et decharité la trouvait disponible.
Elle accompagnait les malades chez lemédecin , surtout pour les opérations . Pour ces dernières , elle rentrait dansla salle d' opération , afin de ne pas les laisser seules , et leur prodiguaitparfois les soins les plus délicats , prenant même la place des infirmières .Quand le séjour à la clinique se prolongeait un peu trop , elle prenait avecelle l' étoffe nécessaire pour confectionner des scapulaires . Elle le faisaitassise dans la chambre de la malade , et c' est assise aussi qu' elle faisaitoraison . Les infirmières étaient grandement édifiées par son esprit surnaturel, plein de charité et d' humilité.
Pendant une opération compliquée decataracte , elle était là , près du chirurgien , récitant son oraison jaculatoirepréférée : " Coeur de Jésus , j' ai confiance en Toi . Coeur de Jésus , j'ai confiance en Toi . " Cela dura pendant toute l' opération . A la fin ,le chirurgien s' exclama : " J' ai été aidé par le chant répété du petitoiseau : " Coeur de Jésus, ..."
"Soyez aimée pour être obéie." La M. Concepción pratiqua ce conseil de laSanta Madre et l' inculqua à toutes les M. Prieures. Nous l'aimions toutes avec ardeur et elle nous aimait tendrement , d' un amour de Mère. Nous étions tellement bien avec cettemère , nous nous sentions si aimées ,accueillies , comprises ! Elle se donnait entièrement à chacune . A son côté ,on se sentait comme sous la protection d' une ombre qui transmettait la paix deDieu , la consolation , le pur amour d' une mère qui aime pareillement tous sesenfants . Elle ne s' étonnait de rien . Elle ne se scandalisait de rien . Elleétait compréhension et amour . Elle comprenait les manques et les faiblesses .Elle pardonnait à tous et ne permettait jamais les critiques ni lesmurmurations.
" Ne jugez pas et vous ne serez pasjugés ; ne condamnez pas et vous ne serez pas condamnés . " Ces paroles del' Evangile avaient pénétré profondément en elle , elle les ruminait longuementet nous les répétait souvent . Elle méditait aussi le commandement nouveau :" Voici mon commandement : aimez-vous les uns les autres comme je vous aiaimés . " La charité s' enracinait en elle de plus en plus profondément . La charité la plus grande qu' elle eutavec nous , ce fut l' exemple de sa vie . Elle était pure charité.
Plusieurs communautés ont gardé unsouvenir ineffaçable de son séjour à Avila pour la visite du Pape . " Elledéplaçait des chaises comme les plus jeunes , et il n' y avait pas moyen de l'arrêter . " Ce petit détail insignifiant nous interpelle aussi comme il ainterpelé nos soeurs à Avila."
Ce n' était pas un hasard . "Déplacer les chaises comme les plus jeunes . " Sa vie , ses 70 ans deCarmélite Déchaussée se déroulèrent ainsi , sans défaillir . A Avila , elleavait 77 ans , elle était courbée , diminuée , loin de sa communauté . N'importe . Elle était si habituée à pratiquer l' humilité , la mortification ,le sacrifice et la charité , qu' elle prenait à son compte les travaux les plusingrats . Et si les novices le faisaient ; quelle différence y avait-il entreles novices et elle qui se sentait vraiment la dernière , même après 21 ans dePriorat et à l' âge de 77 ans ? Par conséquent , elle n' interrompit pas cetravail un peu lourd pour son âge . Elle n' arrêtait jamais un travail par peurde l' effort . Elle l' avait promis avec amour au Coeur de Jésus.
Jusqu' à l' âge de 80 ans elle s' assitpar terre ; avec ou sans arthrose , avec ou sans douleur, pouvant ou nepouvant pas . Elle s'assit par terre jusqu' à ce qu' elle se brisa matériellement les hanches ,et encore , elle disait : " Je peux encore être assise et m' agenouiller par terre , si on m' aide à merelever . Je peux être par terre , mais il faudrait qu' on m' aide à me relever. " Mais les médecins le lui interdirent . Elle dut se résigner et obéir.
Ilconvient à présent de rappeler le petit profil biographique que dressa à samort un prêtre qui l' avait accompagnée pendant 38 ans . Il a une grandefinesse.
"C était une femme de peu de paroles , aux réponses courtes , voire laconiques, mais très expressives et pleines de sens . Une égalité d' humeur très grande. Ses réponses laconiques étaient impressionnantes ; elles te déroutaient audébut , ensuite tu les comprenais . Elle était toujours contente, menant savie.
Elleavait une fermeté et une détermination telles dans le chemin qu' elle avaitentrepris que cela causait une grande admiration . Elle ne blessait personne .Je crois qu' elle avait pris une détermination en rentrant au Carmel et qu'elle ne s' en éloignait jamais , sans la claironner et sans lui donner lamoindre importance ; ses oeuvres prêchaient pour elle , elle ne parlait jamaisd' elle-même.
Trèsobservante de toutes les règles et très fidèle à l' esprit de la Sainte Mère Eglise. Elle aima l' Eglise et le Concile ( 1962 - 1965 ) . Elle aima aussi leschangements que préconisait l' Eglise , mais non pas ceux qui venaient de l'improvisation et de la fantaisie humaines , car ces derniers ont troublé denombreux esprits et causé de fortes crises.
C'était une personne très intérieure et très réservée , très fidèle et douée d'une volonté très ferme . En même temps , accueillante , aimable et charitable .Un sourire très expressif.
Je pense que le Carmel peut rendre grâce à Dieu pour des religieuses comme elle .Pourvu que la jeunesse d' aujourd' hui veuille être aussi généreuse et décidéequ' elle dans le chemin de la vie intérieure et de l' observance des régles quiaident à vivre les trois voeux . " Voilà les paroles de ce prêtre .
SAINTS DE L'ORDRE.
Elle aimait beaucoup notre Ordre et ,sachant combien la mémoire des Saints avive la ferveur , elle voulut que NosSaints fussent représentés dans la Chapelle . Etant Prieure , elle peignit ungrand tableau de 2 x 1.50 mpour la Béatification de Marie de Jésus . Le tableau représente Notre SainteMère donnant le Livre des Demeures à son " petit lettré ".
Elle peignit également , en plus dutableau de Sainte Thérèse Marguerite dont nous parlions au début , Notre PèreSaint Elie ; la SantaMadre et notre fondatrice , " Soeur Eleonor Ortiz ". Et elle assigna à une soeur la suite de cet office . Elle lui fit peindre la Bse Elisabeth de laTrinité et puis , un tableau représentant les Saintes et Bienheureuses quiétaient glorifiées pendant ces années .
MAÎTRESSE DES NOVICES
Elle fut Maîtresse des Novices plusieurstriennats . Elle vivait et enseignait la maxime de N. P. Saint Jean de la Croix: " Oubli du créé , mémoire du Créateur ; attention à l' intérieur etvivre en aimant l' Aimé . " Son enseignement , elle le donnait avanttout par son exemple . Elle ne parlait pas beaucoup . Elle enseignait ,même avant le Concile , ce que dirait après " Perfectae Caritatis " :" vaquer à Dieu dans la solitude et le silence , en continuelle oraison etune généreuse pénitence . " Elle disait que le travail était pénitence .Elle était un parfait exemple de travail . Elle nous apprenait : " quechacune essaye de travailler pour que les autres puissent manger . " Aunoviciat on gardait la retraite complèteen cellule , selon l' esprit de la Règle . Elle observait minutieusement laRègle et les Constitutions . Elle enseignait qu' une carmélite déchaussée quiferait les deux heures d' oraison , mais qui le reste de la journée ne vivraitpas dans la présence de Dieu , ne serait pas une vraie carmélite et ne vivraitpas sa vocation . Elle nous expliquait la Règle . Au cours du noviciat , ellenous commenta plusieurs livres sur notre Sainte Règle.
Elle nous formait selon l' esprit de N. M.Sainte Thérèse , tout ce qu' elle nous dit dans le Chemin de Perfection et sesautres écrits , les Constitutions , le Cérémonial et le Coutumier de notremonastère . Elle nous montrait surtout par sa conduite tout ce que nous devionsfaire . L' esprit de l' Ordre , les précautions et avis de N. P. Saint Jean dela Croix , elle nous les donnait comme un remède à toutes les contrariétés .Elle ne s' imposait pas , mais agissait avec douceur et fermeté.
Elle apportait le petit déjeuner au noviciat. Pendant ce temps , comme elle ne déjeunait pas , elle en profitait pour allerau Choeur faire ses dévotions , toujours à genoux ; personne ne la voyait . C'était une âme de très grande vie intérieure , d' une grande foi et d' un amourtrès fort pour laSainte Eucharistie . Elle faisait beaucoup de visites ,physiques et spirituelles , au Tabernacle . Après ses prières , elle rentraiten cellule et n' en sortait que pour les actes de communauté et de noviciat .Elle gardait un parfait silence et se faisait comprendre par signes dès qu'elle le pouvait . C' était une âme d' oraison intense et de profonde vieintérieure.
Comme nous la voyions toujours la premièreau travail , dans la vertu et l' observance , nous n' avions besoin de plusrien pour comprendre notre obligation et notre devoir d' état . Elle nousrépétait souvent que nous devions être saintes pour obtenir de Dieu le salutdes âmes . Et encore : " Si vous voyez que l' Ordre se relâche , essayezd' être la pierre qui relèvera l' édifice . " Elle ne nous commandaitjamais de chose très concrète , mais nous savions ce que nous devions faire àchaque moment par son exemple . Elle était toujours la première.
Elle aimait que les novices soientcontentes et joyeuses : " Dieu aime celui qui donne avec joie . "Elle aimait que nous fassions des représentations pour animer les récréations .Elle se réjouissait intérieurement de voir les soeurs heureuses.
Elle allait avec les novices converses àla cuisine et faisait le travail le plus dur . Elle s' appliquait à éplucher detoutes petites pommes de terre , et , à force de le faire , elle en vint à seblesser les mains . Elle blanchissait les coins les plus hauts et difficiles dela cuisine parce que la novice converse n' avait pas assez de santé pour cela .La bonne maîtresse la remplaçait pour presque tout.
Et en parlant de cuisine , pendant sonpremier priorat , une soeur converse cuisinière tomba malade , et laM. Concepción prit l' office en charge avec une assistante ,préparant les repas de la Communauté un mois durant . La novice qui l' aida dit: " Je remarquai qu' elle était toujours dans une grande présence de Dieu. Par exemple , elle épluchait des pommes de terre , mais on voyait bien qu'elle était dans la présence de Dieu , et non pas absorbée par le travail."
Rien d' étonnant si les soeurs s' enrendaient compte , puisque son objectif était : "tout faire en pensant à Dieu, en aimant Dieu et parce que c' est lavolonté de Dieu et renouveler ces actes 12 fois par heure . " ( c' està dire toutes les 5 min. )
Elle songeait beaucoup à la vie deNazareth et son travail quotidien l' unissait à ce mystère caché : "J' airegardé Jésus dans son zèle pour les âmes , afin de l' imiter, autant àNazareth dans son travail qu' au cours de sa vie apostolique. Je veux , Mon Dieu , que ma vie entièresoit un apostolat de Carmélite cachée dans ton Coeur." Elle vivaitintensément l' enfance spirituelle de Sainte Thérèse de l' Enfant Jésus .
LA PREMIÈRE EN TOUT.
Dès le début , elle se distingua par l'apostolat du bon exemple , mais avec la responsabilité du Priorat elle le pritencore plus au sérieux . Elle ne s' accordait jamais aucune licence ousoulagement , et ne les demandait jamais quand elle n' était pas prieure.
Quand il s' agissait d' un acte ou d' untravail communautaire , elle ne se dérobait jamais . Plus le travail était dur, plus tôt elle arrivait . Elle était la première à arriver et la dernière àpartir . Elle prenait à son compte ce qui demandait le plus d' effort , lapartie la plus pénible . Elle avait l' habitude de cuisiner , non seulementquand c' était son tour , mais aussi pour N. D. du Mont Carmel et pour le JeudiSaint , où nous faisons des repas plus élaborés , et donc , plus longs.
Un jour de travaux , elle était perchéesur une échelle d' un seul pied . Soudain elle glissa et l' échelle se brisa .Elle tomba et s' écorcha la peau de la paume de la main près du poignet . Lesang coulait à flots . Les soeurs se groupèrent autour d' elle pour la secourir. Elle , comme si de rien n' était , remettait la peau à sa place avec l' autremain comme s' il s' agissait d' un bifteck . Une soeur affolée lui dit : "Mais , Ma Mère , voulez-vous faire l' effort d' être normale ? " En lesvoyant si effrayées , elle leur dit avec autorité : " C' est plutôt vousqui n' êtes pas normales ! " L' affaire s' arrangea en appelant le médecinqui cousut la blessure avec plusieurs points de souture.
Elle était pleine de bon sens , droite ,très préparée , d' humeur égale et parfaitement équilibrée . Sa mémoire étaitprodigieuse . Quand les soeurs s' émerveillaient de sa mémoire , elle leurrépondait : " C' est que vous avez une mémoire de moineau ! "
Quand elle n' était plus prieure ellecontinuait à s' intéresser à la santé de chacune . Elle demandait aux noviceset aux malades si elles avaient bien dormi , et rappelait toujours à cesdernières qu' il leur fallait prendre les médicaments prescrits . Et parfoismême elle leur appliquait les soins difficiles.
FORCE HÉROÏQUE.
D' aucuns ont pensé que la vie desacrifice et d' abnégation de la M. Concepción était due à son excellente santé .A première vue , cela pourrait paraître fondé . Elle-même disait toujours :" rien ne me coûte " " tout me convient " " rien ne mefait mal " " je peux faire ça , cela ne me coûte rien " ...Ainsi , la M. Concepciónaurait au ciel une couronne en laiton , n' ayant fait aucun sacrifice.
Comme dit la petite Thérèse ,nous saurons au ciel beaucoup de choses . Et surtout de cette Mère qui nousrépondait quand on voulait la questionner un peu : " mon secret pour moi ." Mais , heureusement , la Providence de Dieu , pour notre édification , avoulu jeter un peu de lumière sur cette âme élue.
Quand elle souffrait de quelque chose ,même légère (engelures ou simples gerçures ) elle ne disait jamais rien . S' ils' agissait d' elle , rien n' était important . Mais autre chose était quand lemal atteignait une autre soeur . Nous avons vu comment elle se dépensait alors.
Leremède qu' elle proposait contre les engelures était le suivant : " ilfaut les laisser piquer , et , comme ça , quand elles démangent depuis un bonmoment , elles se fatiguent et arrêtent de le faire ." Tout au plusmettait-elle un peu de sparadrap pour éviter de laisser couler le sang des grandesgerçures sur le linge communautaire qu' elle raccommodait.
Pendant son premier priorat une de sessoeurs mourut d' un cancer de matrice . Le jour où elle allait se faire opéreril y eut une visite au parloir , et la M. Concepción fit un acte de renoncement enécoutant sa soeur derrière le tour . Elle ne la revit plus jamais . Comme elleéprouvait les mêmes symptômes que sa soeur , elle se dit en elle-même : "Je ne dirai rien à personne . Masoeur l' a dit aux médecins et elle est quand même morte . Pourquoi devrais-jele dire s' il n' y a pas de remède ? " Et c' est ainsi qu' elle le cacha .Heureusement ce n' était pas un cancer . Mais , en vérité , elle souffrait deconstantes hémorragies , et continuait la vie d' observance comme si de rien n'était.
Une fois , elle eut des herpès sur lajambe . Comme elle était Prieure elle ne dit rien à personne . Elle demandasimplement à la soeur infirmière : " Voudriez-vous me donner quelque chosepour une soeur qui a des boutons ? " Et la soeur , sans se douter le moinsdu monde que c' était pour la Prieure , lui donna une simple pommade , et ellese contenta de cela . Et comme elle voulait donner le bon exemple , étantprieure , elle continuait à s' asseoir par terre . Mais un jour elle confessa àune soeur , en parlant de l' habitude de s' asseoir par terre : " Moi ,vraiment , j' ai eu beaucoup de mal à m' asseoir par terre parfois , parce quej' avais une douleur , et j' avais envie de m' asseoir sur un tabouret , maisje me suis forcée avec détermination ,car je savais que si je m' asseyais sur le tabouret , jamais plus je ne meserais assise par terre."
Combien de choses aura supportées cettebonne Mère sans dire un mot à personne ! Il y eut quelque chose dont nous nousrendîmes compte , grâce à Dieu.
C' était en 1982 . Elle avait 77 ans .Elle était agenouillée au Choeur , en train de présider le Saint Rosaire . Toutà coup , on ne la comprenait plus , elle devint toute blanche , comme si ellesouffrait une attaque . Elle perdit connaissance . Nous pensions que sa finétait arrivée . Peu après , elle vomit du sang , et nous pensions qu' elleétait morte . Mais au bout d' un moment elle reprit connaissance . C' était lemoment de la collation . Nous voulions l' accompagner en cellule , mais elle nevoulait pas , elle voulait aller au réfectoire comme toutes les soeurs . "Mais , Ma Mère , vous n' êtes pas bien pour aller au réfectoire . " "Si , je suis très bien . " " Regardez dans quel état vous avez latoque ! " Quand elle la vit couverte de sang elle répondit sans broncher :" Bon , alors , je m' en vais la changer et puis je descends au réfectoire. " " Mais vous ne pouvez pas manger dans cet état . " "Oui , je peux manger . " " Qu'allez-vous manger ? " Elle demanda : " Qu' est-ce qu' il y a pourmanger ? " Des lentilles et ... ( un plat de Majorque à base de légumes ). Des mets un peu lourds . Elle répondit immédiatement : " Je mangeraicomme tout le monde . " Alors , moi qui étais sous-prieure je lui dis :" Mère , vous ne pouvez pas aller au réfectoire , vous devez aller à l'hôpital . "
Son acte d' obéissance est resté gravédans ma mémoire . Sans répondre un mot elle prépara ses choses pour aller à l'hôpital . Une soeur l' aida à s' habiller et , en sortant de la cellule ,pensant qu' elle allait mourir , elle lui dit : " Mère , qu' arrivera-t-ilsi vous mourez en dehors de la clôture ? " Elle , sereine et paisible ,répondit : " Soyez tranquilles , car je pense qu' on peut aller au cieldepuis l' hôpital autant que depuis la clôture."
Dans l' hôpital , on dut lui faire destransfusions sanguines , à cause de ses vomissements de sang et des pertessanguines qu' elle nous avait cachées . Penser qu' elle était agenouillée dansle choeur ! Comment elle devait souffrir ! Si l' incident était arrivé dans sapropre cellule , elle ne nous aurait rien raconté , et aurait continué tranquillement la vie d' observance.
Très préoccupées nous envoyâmes notreaumônier à l' hôpital . À son retour , il réunit la communauté dans un parloiret nous dit , de la part de notre soeur : " De la part de la Mère Concepción ,je viens vous dire que vous êtes toutes des " poules mouillées"!
Par la suite , quand nous évoquions cetincident , elle disait : " ce ne fut rien , simplement une aspirine."
En effet elle prenait des aspirines trèssouvent . Et pourquoi donc en prenait-elle autant si comme elle disait elleétait en parfaite santé ? A la fin de sa vie , elle disait parfois enconfidence : " C' est parce que j' ai un peu mal ici . " Et ellesignalait la partie droite de son dos . Elle devait certainement souffrirénormément du dos qui était complètement tordu et courbé.
Normalement , elle mangeait lentement .Comme d' habitude , elle ne disait rien , mais nous nous rendions parfaitementcompte que son dentier ne lui allait pas bien . En cellule , quand personne nela voyait , elle rinçait sa bouche avec de l' eau salée . Elle disait : "L' eau salée me va très bien . " Et elle limait son dentier là où iltouchait le plus sa bouche . Quand nous lui demandions si cela lui faisait malelle répondait invariablement : " Ça me va très bien . " Et si nousinsistions , elle répliquait de plus belle : " ça me va très bien . "C' était son dernier mot.
" Cela me va très bien ... Je peux le faire ... Je n' aipas mal ... Cela ne me coûte rien ... Je ne m' en rends même pas compte ." Tel était son langage habituel , simple et naturel . Elle ne changeaitpas ces paroles , même avec les pires souffrances . Toutes pensaient : "Quelle santé de fer , laM. Concepción , elle n' a jamais rien ! Elle semble faite deracines d' arbres comme Saint Pierre d' Alcantara . " Mais , où était salimite ? Elle était tellement habituée à se passer de tout ! Quand par exempleil y avait une coupure de courant , et que nous voulions lui passer une bougie, elle disait : " non , je n' aipas besoin de la lumière , je me suishabituée à travailler sans lumière et ça me va très bien . " Tout sonsecret était là : la force de l' habitude avait creusé en elle un teldétachement de toutes les choses que ce détachement était devenu une secondenature . Détachement sensible et spirituel ; naturel et surnaturel . Ellecheminait dans l' obscurité , " sans autre lumière que celle qui brilledans le coeur " . Et elle ajoutait : " Et ça me va très bien ." Comme dit Notre Saint Fondateur : " Oh , l' heureuse aventure !"
Un jour elle se réveilla sans pouvoirmarcher à peine . Elle allait très lentement . On appela un médecin qui dit quec' était un rhumatisme et qu' il fallait la frictionner . C' était la soeurinfirmière qui le faisait mais la douleur persistait . Un autre docteurconfirma le diagnostic . L' infirmière y mettait toute la force dont elle étaitcapable . La M.Concepción ne disait rien . Quand on lui demandait ce qu' elle avait , ellerépondait : " un peu de rhumatisme . " Nous pensions : " c' estcurieux , la Mère qui est si sacrifiée d' ordinaire , maintenant , pour unléger rhumatisme , peut à peine marcher !" Dans cet état elle gravissaitles escaliers du pupitre de lecteur au réfectoire , elle montait et descendaitles escaliers du monastère parce qu'elle devait faire de l' exercice , mais très péniblement et par pure obéissance. Puis sa jambe commença à gonfler . On alla enfin à l' Hôpital Militaire et ,là , on lui fit des radiographies . Elle avait la hanche cassée ! Il fallaitlui mettre une prothèse . On avait frictionné très énergiquement sa hanchecassée ! Et la Mère se taisait !
Les points de suture de son opération s'étaient déjà enfoncés , de sorte que l' infirmière eut du mal à les enlever .Elle devait ouvrir la chair pour enlever chaque point . Comme elle ne seplaignait pas , on lui demandait si cela lui faisait mal . " Ça ne faitpas mal . " On lui demandait alors ce qu' elle sentait . " rien ,comme des chatouilles " , disait-elle.
L' année d' après elle tomba du lit et secassa le pouce , et surtout , l' autre hanche . Elle avait le visage plein debleus . Les médecins , en voyant sa force dans la douleur et son tempérament defeu , étaient étonnés : " J' aimerais bien , moi , que mes patients eussent la moitié de larésistance de cette soeur . " " Si tous les malades étaient commevous , les médecins n' auraient aucun travail."
Une infirmière du Carmel Séculier nousraconta qu' un jour la Mère lui dit : " Allons , petite soeur ,apprenez-moi à marcher . " " Mais , Ma Mère , la blessure est encoretrop récente . Elle date d' avant-hier . " Mais comme elle insistait , jelui accordai son caprice . Elle fit un pas et ... ne tomba pas parce que je lasaisis à temps . Je lui dis : " Mère , vous seriez déjà tombée une fois ." Elle répondit : " Allez , encore une fois . " Et de nouveau ,la même chose . La troisième fois , je lui dis : " Mère , vous êtes déjàtombée trois fois . " Enfin , elle me dit : " Vous m' apprendrez àmarcher un autre jour . " Quelle force de volonté!
Désormais , elle eut besoin d' un chariotpour se déplacer . Elle avait deux prothèses aux hanches . En arrivant aucouvent , avec son chariot et le pouce cassé , elle voulut faire des palmescomme toute la communauté pour le dimanche des Rameaux.
Elle continua à assister à tous les actesde communauté , à faire le ménage du samedi et la cuisine hebdomadaire . L'amour est ingénieux . Seuls sonamour pour Jésus , son zèle pour les âmes, et l' amour qu' elle nous portait en voulant nous donner l' exemple jusqu' aubout , pouvaient lui donner une telle force d' âme ! Elle mettait lacasserole sur son chariot , après l' avoir recouverte d' un plastique , et latrimbalait remplie d' eau jusqu' au feu . Comme elle était de plus en pluscourbée , elle n' atteignait presque plus les fourneaux . Elle transportait lespoêles pleines d' huile et c' était merveille si l' huile ne lui tombait pasdessus . Nous lui disions qu' elle était déjà un peu âgée pour des travauxaussi lourds . Elle répondait : " Quel rapport ! même si j' avais 100 ansje continuerais . " " Notre Mère Sainte Thérèse conseille qu' onregarde avant le besoin que l' âge . Caril y aura très souvent un grand âge et moins de nécessité . Elle insistait pourfaire la cuisine et nous disait que le jour où vraiment elle verrait qu' ellene pouvait plus continuer elle le ferait savoir . " Ça ne me coûte rien ." Nous , voyant qu' elle était une colonne d' observance et un exemple à imiter, la laissions travailler sans rien dire.
A plusieurs reprises , elle nous ditcombien elle avait été frappée par une Bienheureuse qui était devenue aveugleet qui continuait à faire le travail comme si de rien n' était , jusqu' au jouroù son mari lui avait demandé de lire le journal . Alors elle avait dû lui direqu' elle était aveugle.
La soeur qui s' occupait d' elle depuisqu' elle s' était cassée la première hanche remarqua un jour quelque chose decurieux . La Mère était assise sur son lit et , fermant successivement l' un etl' autre oeil , faisait des preuves avec ses doigts . Comme elle ne faisaitjamais rien sans raison , la soeur lui demanda ce qu' elle faisait . Aussitôtla Mère dissimula et fit comme si elle s' endormait . Mais peu après ellerecommença son manège . De nouveau lasoeur la questionna mais comme c' était le grand silence elle lui fit signe dese taire.
Le lendemain , devant l' insistance de l'infirmière , la Mère lui fit promettre qu' elle ne dirait rien , et la soeurpromit . Alors elle lui révéla le secret : le jour de Notre Dame du Mont Carmel, soudain, son oeil droit devint aveugle . Et personne ne s' en renditcompte!
Quand on alla voir pour la première fois ,le 2-XI-90 , le Dr. Manuel de Timoteo Barranco , celui qui la soigna jusqu' àsa mort , il nous dit : " en dilatant la pupille , et derrière lacataracte , je vois un décollement de la rétine très développé ( plus de 2/3 dela rétine ) . Le diagnostic est très mauvais . " Il renseigna la Mère surla véritable situation sans rien cacher et elle accepta avec une sérénité etune résignation héroïques . Elle avait désormais 40% de vision car son oeil bonavait aussi la cataracte . Elle utilisa donc une grande loupe jusqu' à sa mort.
Le docteur était toujours émerveillé de sasérénité , et le jour de son décès , il dit : " Elle ne se plaignaitjamais ; docile et résignée , elle souffrait en silence , offrant sa douleur auSeigneur , et encore , elle me disait qu' il y avait des personnes quisouffraient bien plus qu' elle . C' était pour elle comme un défi . "" Avec un caractère hors du commun , elle disait que si elle devait resteraveugle , elle acceptait tranquillement . Elle vivait comme ne vivant pas audehors , elle avait son " château intérieur " , et ne sortait de cetintérieur que pour la charité . Ainsi , ses souffrances étaient pour elleautant de marches à gravir pour arriver au paradis . J' étais édifié par sontempérament et par sa foi . Pour moi , homme de peu de foi , elle était unexemple de sainteté réelle , et non pas de sainteté figée dont je n' ai quifaire . Cette Mère fut un exemple de mortification , d' intégrité, de saintetéet de force dans l' oraison . Qu' elle repose en paix et soit un exemple et unelumière pour nous tous."
Je dus faire appel au Docteur Timoteo pourque la Mère acceptât de ne plus travailler à la cuisine , car cela devenaitdangereux . Le Dr. lui dit que la vapeur de la cuisine était mauvaise pour sesyeux , et alors elle accepta.
MÊME SI TU ME TUES , J' AURAI CONFIANCE ET J' ESPÉRERAI EN TOI .
C' est ce qu' elle avait promis au Coeurde Jésus le jour de sa Consécration . Et elle avait accompli ce programme toutesa vie , jusqu' à sa mort . Une soeur lui demanda un jour si elle avaittraversé les nuits de Saint Jean de la Croix ; elle répondit : " Siquelque fois cela est advenu , aussitôt j' ai fait des actes de foi , d'espérance et de charité . " Et elle lui raconta qu' il y avait un sainttenté d' aller en enfer au moment de célébrer la Messe qui avait pris dans sesmains la Sainte Hostieen exclamant : " Seigneur , si je dois être malheureux au point de te perdre pour l'éternité , maintenant que je te tiens , je ne te lâcherai pas."
Et dans son humilité profonde , dans sonintense vie théologale , elle ajouta : " Je sais que je peux me condamner , mais je pense : je sais que si celaarrive ce sera uniquement à cause de moi , parce que vous êtes juste et saint .Par conséquent , à présent je veux vous louer et vous glorifier."
Elle répétait la pensée de la petite Thérèse :" je ne refuse pas une longue vie , mais si vous acceptez , je voudraisvoler au ciel . " Elle désirait le ciel pour être avec le Christ , mais àl' instar de Saint Paul elle voyait bien qu' elle était plus utile sur la terreavec nous.
APOSTOLAT DE CARMÉLITE CACHÉE DANS TON COEUR . Soif d' amour et d' âmes .
"Je veux , Mon Dieu , que toute mavie soit un apostolat de carmélite cachée dans ton Coeur."
Le Père a lu dans les SaintsEvangiles ce qui a trait à la Crucifixion , puis nous a conseillé d' aller encellule et terminer la méditation devant le Crucifix . J' ai lu l' Évangile deSaint Jean et j' ai été émue quand il dit : " j' ai soif . " J' aiimaginé que Jésus me regardait et me disait : " J' ai soif d' amour et j'ai soif d' âmes . " Alors je lui ai promis de faire tout mon possible pourétancher sa soif , mais que fût lui qui m' aidât." ( exercices 1971)
Comme les dernières années de sa vie elleétait presque aveugle , elle me demanda de lui fournir une sorte de tableauavec une inscription en gros caractères pour suspendre dans sa cellule . Elledemanda expressément cette inscription : " La contemplation des divinsmystères et l' union constante avec Dieu dans l' oraison n' est pas seulementle premier et principal devoir de la carmélite , mais encore elle constitue l'essence même de sa vocation et l' apostolat unique et exclusif de sa vieintégralement immolée dans la contemplation . " ( Cf. can 663-1 )
Cetteâme n' avait d' autres intérêts que ceux de Dieu . Elle implorait sans cesse lefeu de l' Esprit Saint sur le monde . Elle trouvait un sens toujours nouveau ausacrifice de la Messe , au cours de laquelle elle unissait son offrande à cellede Jésus pour la rédemption du monde . Dans le sacrifice quotidien de l'Eucharistie elle puisait la force nécessaire à sa sanctification et à sonimmolation . C' était sa vie . Elle se sentait si pleine de Dieu ! Et rempliede joie intérieure et de reconnaissance elle nous disait : " Comme on voitbien que nous communions souvent , même deux fois par jour parfois ! " .Vous le remarquez ? " Oui . "
Elles' intéressait pour le salut de tous , mais aussi pour le bien-être de nosfrères et surtout de ceux qui sont en mission . Par conséquent , elle voulaitqu' on envoie - même quand elle n' était pas prieure - de nombreuses aumônespour remédier aux nécessités matérielles et spirituelles de toute la terre .Elle nous l' avait enseigné : " Que chacune travaille pour que les autresmangent . " Ces mots de laSanta Madre qui s' appliquent aux communautés , elle lesappliquait également au monde entier . C' était un stimulant pour son travail .
Quandon voulait offrir la messe à ses intentions , elle demandait toujours que cefût à travers les intentions de l' Eglise en détresse , pour aider ainsi cesprêtres éloignés .
Elleaimait vraiment tout le monde , à commencer par les plus proches , sa proprecommunauté . Mais elle priait et s' immolait pour tous et chacun , jusqu' auxconfins du monde . Personne n' était exclu de sa vie de prière et de pénitence, mais elle offrait surtout sa sanctification pour l' Eglise , qu' elle aimaittant . Elle était vraiment consciente de son apostolat caché d' âmecontemplative dans le Coeur de l' Eglise , de sa vie cachée en Dieu avec le Christ.
"Je pense que plus on est proche de lacime , plus on doit s' efforcer d' atteindre le but . Alors , il fautfaire un plus grand effort pourrattraper le temps perdu , car on ne peut plus perdre une seule minute . Coeurde Jésus , j' espère que vous medonnerez les forces nécessaires." (Ce sont les derniers exercicesqu' elle écrivit ,les derniers où elle voyait encore un peu , prêchés par le P.Juan Bosco de Jesús . O. C. D. )
L' amour ne lui laissait pas de repos . LaRédemption ! " Je complète en ma chair ce qui manque aux souffrances duChrist pour son corps qui est l' Eglise . " Le zèle pour le salut des âmes; la gloire de Dieu ; le cri de Jésus sur la Croix : " J' ai soif ! "
Elleécrivait dans des Exercices : "Je suis fille de l' Eglise . Tout serésume en un mot ; AMOUR." Elle avait un ardent désir de l'évangélisation de tous les peuples . Elle priait beaucoup, vraiment beaucoup ,pour l' intention préférée du Pape: LA NOUVELLE ÉVANGÉLISATION.
Dieului accordait une prodigieuse mémoire pour se rappeler une à une les personnesqui se confiaient à elle . Parfois il advint qu' arriva au parloir un prêtrequi était venu se recommander à la prière de la communauté (comme par exemplece célèbre Rafael Stern , qu' on appelle le Saint Paul du XX siècle ) . Quandil demandait si on le recommandait à Dieu , elle répondait tout simplement :" tous les jours je vous confie à Dieu . " Nous étions chaque foisédifiées par ce zèle et cette charité . On la voyait complétement inondée parl' Esprit Saint et plongée dans la Trinité , bien que toujours naturelle ettrès aimable avec tout le monde .
L' ÉPOUX ARRIVE ! "Je ne peux pasperdre une minute."
En1958 elle écrivait : "Que désirerai-je à l' heure de la mort ? Mon Dieu ,je souhaite choisir dès à présent ce qui , à cette heure décisive , me donneraplus de paix .
Elles' était proposé : " Je recevrai tous les jours la Communion comme si c'était le Viatique . " Elle vécut encore 41 ans après cette détermination. Elle se préparait pourtant à mourir à n' importe quel moment : " Jechoisirai ce qui , à cette heure , me donnera le plus de paix . " "Agissez toujours comme vous aimeriez avoir agi à votre heure dernière . "Ce sont les paroles qu ' elle nous répétait souvent , étant prieure . Ellepriait tous les jours de tout coeur l' acceptation de la mort , prière quiavait l' indulgence plénière . Une soeur lui demanda un jour si elle croyaitqu' elle irait au purgatoire . Dans son humilité elle répondit qu' elle s' abandonnaitvraiment au bon vouloir de Dieu . Mais comme la soeur insistait , elle dit quela prière qu' elle récitait tous les jours comportant une indulgence plénière ,elle pensait que pour cette raison elle n' irait pas au purgatoire . Etelle ajoutait : " Peut-être quelqu' un pensera que je suis tranquille àcause de mes oeuvres . Non , non , pas du tout . Je me sens " le serviteurinutile . Je me repose non pas dans mes oervres , mais dans les méritesinfinis de Jésus-Christ , et je joins mes actions à ses mérites. "
Ellesentait brûler en son âme " la Vive Flamme d' Amour . " " Termine situ veux , déchire la toile de cette douce rencontre . " Pendant qu' elleattendait ce moment , elle ne relâchait pas d' un pouce l' observance régulière, car elle disait : " Je ne peux pas perdre une minute . " Si elle n'avait jamais eu de compassion pour elle-même , maintenant encore moins . "Je ne peux pas perdre une minute . " " Aimer , c' est se donner , s'oublier , se sacrifier , pour celui qu' on aime . " Elle voulut se donner, s' oublier , se sacrifier jusqu' au bout , mais sans raideur , pleine de joie. Elle disait au début de sa vie religieuse : " Je crois que si je devaischoisir mille fois , je choisirais la même chose . " A la fin de sa vie ellene disait plus " je crois " , mais elle affirmait avec détermination: " Si je devais rentrer encore mille fois , je le ferais sans hésiter ,mille fois . " Elle nous assurait qu' au Carmel elle avait toujours été extrêmement heureuse .
Mêmesi elle n' avait pas de stabilité ni d' équilibre pour se maintenir debout ,même si elle était pratiquement sourde et aveugle , et malgré ses 93 ans , elledescendait tous les matins à la lingerie pour rapiécer et coudre . Elle voulaittravailler . Elle y passait toute la matinée. Elle se rendait toute seule à tous les actes de communauté . Elle descendaitégalement pour la SainteMesse , sans faire de difficulté , sans commentaires , sanscritiques envers celles qui restaient en haut . Elle se débrouillait touteseule , sans être à charge à personne . Les soeurs qui restaient dans le Choeurdes malades la voyaient descendre émerveillées , car elle était de loin leuraînée . Une novice lui demanda un jour pourquoi elle descendait : " c' estque , moi , je peux descendre sans problème . " Elle ne se sentait paspour autant supérieure aux soeurs qui restaient en haut .
Versla fin de l' année 1998 elle eut une forte grippe . On appela notre médecingénéraliste Dr. Vicente Pieras , qui fut très surpris de la force de caractèrede la Mère , qui avec 38/39 de fièvre , disait que nous nous affolions pour unrien . Alors je crus qu' il convenait delui donner un temps de repos , sans se réveiller aussi tôt , ni descendre auréfectoire pour ne pas prendre froid . Elle allait au Choeur des malades , quiétait près de sa cellule . Elle passa un certain temps comme ça , jusqu' aujour de l' Immaculée , où elle descendit avec la communauté pour la Messe .
LE DERNIER JOUR DE SA VIE
Avecla messe conventuelle du matin , les Exercices prêchés par le P. HyacintheMarie de la Croix , carme , se terminérent . Elle avait suivi les Exercicesavec les malades . A la fin , le Père donna la Bénédiction Apostoliqueavec Indulgence Plénière . L' après-midi , après None , l' accolade communautaire. Comme elle se reposait en cellule , une soeur vint la chercher . Elle arrivaet toutes les soeurs remarquèrent que son visage rayonnait de joie intérieure ,avec un ravissant sourire . Elle nous embrassa tendrement , remplie de bonheur. Elle nous l' avait souvent dit : " Cette vie est un ciel sur la terrepour celle qui veut accomplir seulement la Volonté de Dieu . En voulant plustout se perd , car on ne peut l' obtenir. "
Mêmeen étant fragile , elle assistait aux Heures , à l' exception des Laudes et del' Office de None . Elle se levait et s' asseyait avec les autres soeurs , maisne pouvait pas lire le Bréviaire à cause de ses yeux , raison pour laquelleelle récitait en plus les Pater prescrits par la Règle , ce qui n' était pas dutout nécessaire , jusqu' aux Matines de la Nuit où le Seigneur vint la chercher. En effet , les soeurs la trouvèrent fatiguée ce jour-là , mais , à sonhabitude , elle " allait très bien ".
Nousétions toutes grippées , et donc l' heure du coucher fut avancée . La soeur quiétait avec elle depuis 12 ans l' aida à se coucher . Elle fit un acte decontrition , se frappa la poitrine et embrassa le crucifix avec amour etrévérence . Elle prononça l' acceptation de la mort . Elle se coucha.
Elle demanda à la soeur de prier pour une âme enparticulier , sans préciser . " Ce n' est pas une lumière spéciale , maiscette âme m' est venue à l' esprit . " La soeur l' aida à prier . Ellerécita les trois Ave Maria .Ensuite elle les répéta . La soeur lui dit : " Nous les avons déjàrécitées . " Elle répondit : " Les premières étaient pour moi . Lesdeuxièmes pour ceux qui ne prient pas . " Elle récita comme d' habitude d'autres prières . Avant de s' endormir la soeur lui demanda qui elle aimait leplus ; elle répondit : " Le Coeur de Jésus et la Sainte Vierge ." C' était 22h30min .
NUIT DU 7 FÉVRIER 1999 : " JE DOISMONTER " .
Après2h , elle eut un besoin et se leva , sans appeler la soeur pour ne pas ladéranger. C' était de nuit . Un bruit étrange sortait d' elle , et lasoeur se réveilla , en lui demandant ce que c' était . Elle répondit qu' ellene savait pas , sans perdre son habituelle sérénité . Elle avait leslèvres très blanches , comme recouvertes de mousse . Le bruit continuait .Pendant que la soeur la soignait , elle demeurait debout . Elle devait sentirbeaucoup de douleur et elle se regarda la main droite . La soeur aussi laregarda et vit les veines très noires . Mais voyant que la soeur regardait ,aussitôt elle cacha sa main . Elle ne se plaignait pas , ne disait rien , nedemandait rien . La soeur lui dit : " Ma Mère ; que vous arrive-t-il ?Vous êtes en train de mourir ? " La Mère la regardait avec beaucoup detendresse , mais ne demandait rien et demeurait debout . " Voussentez-vous mal ? " Elle acquiesça . " J' appelle Notre Mère ? J'appelle le médecin ? " C' était la nuit , toute la communauté dormait . Lasoeur ne voulait pas la laisser seule juste à ce moment . Mais comme la soeurne savait pas quoi faire , elle décida elle-même ce qu' il fallait faire . A l'instar de Saint Louis de Gonzague , qui affirma un jour en récréation qu' ilcontinuerait à jouer au ballon si la mort venait le surprendre à ce moment , la M. Concepción essayaà ce moment de monter au lit , dans un dernier et suprême effort pouraccomplir la volonté de Dieu . " Ma Mère , que faites-vous ? "" JE DOIS MONTER ! Je dois monter !" répéta-t-elle . Et elle rendit son âme à Dieu . Elle ne monta pas aulit , mais bien plus haut : dans les bras de Notre Père du Ciel . C' était2h15min de la nuit du dimanche 7 février 1999 . Elle avait 93 ans , 9 mois et13 jours .
Elle ne s' était jamais plaint à cause d'une quelconque douleur , et le jour où elle acquiesça à la question de la soeur , elle mourut .
FUNÉRAILLESET ENTERREMENT.
Les funérailles eurent lieu le lendemain , à 18h30min , présidées par notreaumônier , le P. Juan Torrens , Délégué Diocésain de Piété Populaire , quicélèbre toujours avec beaucoup de dignité et d' onction . 18 prêtresconcélébraient , dont 2 cousins de la M. Concepción . A la fin de la célébration D. Juanpria les gens de s' asseoir et dit entre autres choses : " Le juste brilledans les ténèbres comme une lumière . " Ces paroles du Répons d' hierdimanche , résument bien la vie de la M. Concepción . Devant une vie aussiexceptionnelle il ne nous reste plus qu' à rendre grâce pour une lumière aussivive au sein de nos pauvres ténèbres . Cela nous incite à imiter une telle vie. Ce n' est pas que je veuille canoniser personne , mais seulement montrer unbon exemple , une bonne nouvelle parmi tant de mauvaises nouvelles . C' est ceque disait l' Evangile d' hier : " Pour que voyant vos oeuvres bonnes ilsglorifient le Père qui est au Ciel . " C' était le but de ma lettre et lebut de chacune de nos vies. "
L'homme chargé d' ensevelir les moniales contemplatives , qui avait déjà enterré52 moniales , fut vivement impressionné de voir les gens lui demander d'appliquer sur son corps des rosaires et des crucifix , et de couper desmorceaux de son scapulaire et de son manteau blanc . Cet homme de 45 ans souffrait depuis son enfanceune forte douleur au niveau du cou et de son bras gauche , douleur qu' aucunmédicament n' avait réussi à apaiser . Il se confia donc à la M. Concepción etsoudain , mettant sa main à l' endroit de la douleur , celle-ci avait complètement disparu . Depuis ce jour , il y a plus d'un an , il ne l' a plus ressentie.
A cause d' un accès de fièvre , je ne pusassister aux funérailles et à l' enterrement . Ce fut un grand sacrifice pourmoi . Les soeurs présentes ont raconté cette anecdote:
Aumoment de mettre le cercueil dans le tombeau , celui-ci était trop grand . L'employé pensa qu' il fallait le changer . A ce moment , la soeur de la M. Concepción , MmePilar de Oleza , s' exclama : " Je pensais bien que ma soeur ne voudraitpas être enterrée dans un cercueil aussi beau ! " Sur ce , arriva l'employé avec un cercueil très pauvre et détérioré par l' humidité , au pointqu' on ne pouvait même pas le fermer . A l' instant , le visage changea . Son expression sérieuse de morte se changea en un ravissant etinoubliable sourire . Nous disionstoutes à l' unisson : " Qu' elle est belle , comme elle sourit ! " Etnous comprîmes le sens de ce sourire . Elle voulut vivre au Carmel trèspauvrement , très austèrement , et c' est ainsi qu' elle voulut mourir . Cefut son dernier sourire sur cette terre.
Mêmesi nous espérons que notre Mère bien-aimée jouit de la vision béatifique , nousvous demandons quand même de lui appliquer les suffrages habituels pour nosdéfunts , car en principe nous voulions réserver l' argent dépensé en timbrespour faire dire des messes pour son âme .
Priezégalement pour toute la communauté et pour votre soeur
Marie Rose de l' E. J. et de S. Joseph , i.c. d. , Prieure.